Plinio Corrêa de Oliveira

 

Noblesse et élites traditionnelles analogues dans les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine

© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété (TFP) 12, Avenue de Lowendal - PARIS VII

Septembre, 1995


Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.

PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine

GNP = Allocution à la Garde noble pontificale

Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères gras par l'auteur.

Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa, 1993).

Traduit du portugais par Catherine Goyard

1ère édition française: Editions Albatros, 1993.

Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan), en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton Press, Lanham MD, USA).


DOCUMENT I

 

Textes complets des quatorze allocutions de Pie XII

au Patriciat et à la Noblesse romaine

 

 

Allocution du 8 janvier 1940

En Nous rendant visite à l'occasion de la nouvelle année, le Patriciat et la Noblesse romaine ont voulu Nous accorder une double faveur: l'authentique agrément de votre présence et celui de vos voeux filiaux, ornés comme d'une offrande de fleurs par le témoignage de votre traditionnelle fidélité au Saint Siège; les pieuses et éloquentes paroles qui viennent d'être adressées par votre insigne interprète, chers fils et filles, Nous offrent l'occasion, longuement souhaitée, d'affermir et d'accroître, de Notre part, la haute estime que ce Siège Apostolique a toujours entretenue à l'égard de votre illustre classe, sans jamais cesser d'en donner une évidente démonstration.

Dans cette estime, voilà l'histoire des siècles passés qui retentit. Parmi ceux qui, en ce moment même, Nous entourent comme une couronne, beaucoup portent des noms enchevêtrés depuis des siècles avec l'histoire de Rome et de la Papauté, dans les jours lumineux ou obscurs, dans la joie ou la douleur, dans la gloire ou l'humiliation, soutenus par cet intime sentiment jailli des profondeurs d'une foi héritée avec le sang de leurs aïeux, qui survit à toutes les épreuves et à toutes les tempêtes, toujours prête à reprendre, après quelques égarements passagers, le chemin de la maison paternelle. La Ville Eternelle reflète et renvoie les rayons de sa splendeur et de sa grandeur sur les familles du Patriciat et de la Noblesse romaine. Les noms de vos ancêtres se trouvent inscrits, de façon indélébile, dans les annales d'une histoire dont les événements ont pris une part importante, à plus d'un titre, dans les origines et le développement de tant de peuples du monde moderne, de sorte que, sans le nom de Rome et de ses nobles lignées, on ne pourrait point écrire l'histoire profane de diverses nations, de royaumes et de couronnes impériales. Les noms du Patriciat et de la Noblesse romaine marquent davantage leur présence dans l'histoire de l'Eglise du Christ qui s'élève encore en grandeur et dépasse toute gloire naturelle et politique dans son Chef visible qui, par un bénin dessein de la Providence, a érigé son siège sur les bords du Tibre.

Dans cette assemblée toute choisie, en présence de trois générations, Nous voyons de Nos yeux, autour de Nous, une image vivante de votre fidélité au Pontificat romain et de cette continuité qui vous honorent en tant qu'apanage glorieux de vos familles. En ceux d'entre vous dont le front est couronné de neige et d'argent, Nous saluons les nombreux mérites acquis au long de l'accomplissement du devoir et que vous êtes ici venus déposer comme des trophées de victoire en hommage au seul vrai Seigneur, Maître invisible et éternel. Mais, pour la plupart, vous vous tenez devant Nous fiers de la hardiesse conférée par la fleur de la jeunesse ou la splendeur de la virilité, par la vigueur d'énergies physiques et morales qui vous rendent prêts et désireux de consacrer vos forces au progrès et à la défense de toute bonne cause. Notre prédilection, toutefois, se penche vers l'innocence sereine et souriante des petits, les derniers à venir en ce monde, en qui l'esprit de l'Evangile Nous fait reconnaître les premiers fortunés du Royaume de Dieu; en qui Nous apprécions l'ingénue candeur, l'éclat vif et pur des regards, reflet angélique de la limpidité de leurs âmes. Ils sont innocents, apparemment sans défense, mais dans le charme de leur ingénuité qui plaît à Dieu pas moins qu'aux hommes, ils cachent une arme dont ils savent déjà user, comme le jeune David maniait sa fronde: la tendre amie de la prière. En même temps, dans le carquois de leur volonté, fragile mais déjà libre, ils gardent une flèche merveilleuse, instrument sûr de leur future victoire: le sacrifice.

A cette exubérance d'âges différents, dans laquelle Nous Nous réjouissons de reconnaître les fidèles dépositaires des traditions chevaleresques, Nous n'en doutons pas, Nous en sommes même certain, le nouvel an sera bon et chrétiennement heureux. Car, malgré le voile obscur jeté sur lui par l'avenir, vous le recevez avec empressement des mains de la Providence, telle une enveloppe scellée renfermant un ordre de route pour de saintes et vertueuses luttes, que l'officier appelé à une mission de confiance reçoit de son chef pour ne l'ouvrir qu'en chemin. Dieu qui vous a permis de commencer ce nouvel an à Son service, vous dévoilera jour après jour Son secret; dans toute cette succession encore mystérieuse d'heures, de jours et de mois, rien n'arrivera, vous ne l'ignorez point, hors la volonté ou la permission du Père céleste, dont la Providence et le gouvernement du monde n'errent ni ne défaillent jamais dans l'accomplissement de Ses desseins. Pourrons-Nous dissimuler à vos yeux que le nouvel an et les temps nouveaux qu'il ouvre vous apporteront l'occasion d'affrontements et d'efforts ainsi que, Nous l'espérons, de mérites et de victoires ? Ne voyez-vous pas que, dans la mesure où la loi de l'amour évangélique a été ignorée, niée et outragée, certaines régions du monde sont ravagées par les guerres dont la miséricorde divine a épargné jusqu'à présent l'Italie, guerres dans lesquelles des villes entières se sont vu transformées en mines fumantes, et des plaines où mûrissaient des moissons copieuses, réduites en nécropoles de cadavres déchiquetés ? La paix erre timidement comme un solitaire sur des chemins désertés, dans l'ombre d'une nébuleuse espérance; ses partisans suivent ses pas ou ses traces, dans le monde ancien comme dans le nouveau cherchant, préoccupés et soucieux, à la réintroduire parmi les hommes selon des voies justes, solides, durables et préparant, dans un effort fraternel de compréhension, la tâche ardue des reconstructions nécessaires!

Dans ces oeuvres de reconstruction, chers fils et filles, vous pouvez avoir un rôle important. Car s'il est vrai que le siècle se dresse contre l'idée et contre le nom même d'une classe privilégiée, il n'en est pas moins vrai qu'il ne peut se passer d'avoir,comme dans les sociétés antiques, une classe laborieuse à sa tête et, pour cela même, participant aux cercles dirigeants. Il vous revient donc de montrer franchement que vous êtes et que vous prétendez constituer une catégorie de personnes entreprenantes et actives. Vous l'avez déjà bien compris, tout comme vos enfants le verront et le comprendront encore plus clairement: nul ne peut se soustraire à la loi originelle et universelle du travail, aussi varié et multiple qu'il soit ou qu'il paraisse, sous ses formes intellectuelles et manuelles. Nous sommes certains que votre magnanime générosité saura faire sien ce devoir sacré, non moins courageusement ni moins noblement que vos autres grandes obligations de chrétiens et de gentilshommes, descendants comme vous l'êtes d'aïeux dont le zèle est exalté et révélé à notre époque par de si nombreux blasons de marbre, dans les palais de la Cité et des terres d'Italie.

Il existe, toutefois, un privilège que ni le temps ni les hommes ne pourront vous arracher, si vous-mêmes ne consentez à le perdre en vous rendant indignes de lui: celui d'être les meilleurs, les optimates. Non pas à cause du cumul de vos richesses, du luxe de vos vêtements, du faste de vos palais, mais à cause de l'intégrité de vos moeurs, de la droiture de votre vie religieuse et civile; le privilège d'être patrices, patricii, à cause de sublimes qualités d'âme et de cœur; le privilège enfin d'être nobles, nobiles, c'est-à-dire les hommes dont le nom mérite d'être connu et les actions citées comme autant d'exemples et d' émules.

Si votre comportement suit continuellement cette ligne, la noblesse dont vous avez hérité resplendira davantage et se transmettra à travers vous; les mains fatiguées des anciens passeront le flambeau de la vertu et de l'action aux mains vigoureuses des jeunes et, comme la lumière silencieuse et tranquille des crépuscules nimbés d'or revit dans les nouvelles aurores, une flamme étincelante d'aspirations généreuses et fécondes se retrouvera à chaque nouvelle génération. Voici, cher fils et filles, les voeux comblés d'espoir et de confiance que Nous élevons pour vous vers Dieu, en même temps qu'en gage des grâces célestes les mieux choisies, Nous vous concédons à tous et à chacun, à tous ceux qui vous sont chers, à toutes les personnes que vous gardez dans votre souvenir et dans votre coeur, Notre paternelle Bénédiction Apostolique (1).

(1) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 8-1-1940, p. 471-474.

 

Allocution du 5 janvier 1941

Voilà pour Notre cœur une source de joie intime et paternelle, celle de voir la couronne que vous formez autour de Nous, chers fils et chères filles, à l'ouverture de cette année nouvelle, dont l'horizon n'est pas moins chargé de craintes que celui de l'année qui vient de s'écouler, réunis comme vous l'êtes pour Nous présenter vos souhaits filiaux, par la voix de votre excellent interprète, dont les expressions élevées de dévouement font de votre présence approbatrice et consentante un témoignage de haute estime et d'attachement qui Nous est particulièrement cher.

Dans le Patriciat et la Noblesse romaine, Nous retrouvons et Nous aimons une phalange de fils et de filles dont la fierté réside dans le lien et la fidélité envers l'Eglise et le Pontife romain, hérités des ancêtres, dont l'amour envers le Vicaire du Christ surgit d'une foi profondément enracinée et n'a pas diminué au cours des années et des vicissitudes variées selon les temps et les hommes. Parmi vous, Nous Nous sentons davantage Romain, par les coutumes de vie, par l'air que Nous avons respiré et que Nous respirons encore, par ce même ciel et ce même soleil, par les mêmes rives du Tibre où reposa Notre berceau, par cette terre sacrée jusqu'au fond même de ses entrailles, d'où Rome tire pour ses fils les auspices d'une éternité qui monte jusqu'au ciel.

Si c'est un fait que le Christ, Notre-Seigneur, a préféré pour réconforter les pauvres, venir ici-bas privé de tout et grandir dans une famille de simples ouvriers, il est également vrai qu'Il voulut toutefois honorer par Sa naissance la plus noble et la plus illustre des maisons d'Israël, la descendance même de David.

C'est pourquoi, fidèles à l'esprit de Celui dont ils sont les Vicaires, les Pontifes suprêmes ont toujours tenu en haute considération le Patriciat et la Noblesse romaine dont les sentiments d'attachement inaltérable au Siège apostolique sont la part la plus précieuse de l'héritage reçu de leurs aïeux, qu'eux-mêmes transmettront à leurs enfants.

De cette chose grande et mystérieuse qu'est l'hérédité — c'est-à-dire la transmission dans une même race, de génération en génération, d'un patrimoine riche en biens matériels et spirituels; la continuité d'un même type physique et moral passant de père en fils; la tradition qui unit à travers les siècles les membres d'une même famille — de cette hérédité, disions-Nous, on peut sans doute fausser la vraie nature par des théories matérialistes. Mais on peut également, et on doit également, considérer cette si importante réalité dans la plénitude de sa vérité humaine et surnaturelle.

On ne niera certainement pas l'existence d'un substrat matériel dans la transmission des caractères héréditaires: pour s'en étonner, il faudrait oublier l'intime union de l'âme et du corps et dans quelle large mesure nos activités, mêmes les plus spirituelles, dépendent de notre tempérament physique. Pour cela, la morale chrétienne ne manque pas de rappeler aux parents les graves responsabilités qu'ils ont à cet égard.

Mais ce qui a le plus de valeur, c'est l'hérédité spirituelle, transmise non pas tant au moyen de ces liens mystérieux de la génération matérielle que par l'action permanente de cette ambiance privilégiée créée par la famille; par la lente et profonde formation des âmes dans l'atmosphère d'un foyer riche en hautes traditions intellectuelles, morales et surtout chrétiennes; par l'influence mutuelle de ceux qui vivent dans la même maison, influence dont les effets bienfaisants se prolongent pour beaucoup au delà des années d'enfance et d'adolescence, jusqu'au terme d'une longue vie dans ces âmes choisies qui savent mêler en elles-mêmes les trésors d'une précieuse hérédité avec leurs propres qualités et leurs propres expériences.

Tel est le patrimoine plus précieux que tout, qui éclairé par une foi solide, vivifié par une ferme et fidèle pratique de la vie chrétienne dans toutes ses exigences, élèvera, perfectionnera et enrichira les âmes de vos enfants.

Mais, comme tout riche patrimoine, celui-ci entraîne aussi d'exigeants devoirs, d'autant plus rigoureux que riche est ce patrimoine. Deux surtout:

— le devoir de ne pas gaspiller de pareils trésors, de les transmettre intacts à ceux qui viendront après vous, et encore, si possible, agrandis; de résister donc à la tentation de ne voir en eux qu'un moyen de vie plus facile, plus agréable, plus recherchée, plus raffinée;

— le devoir de ne pas réserver à vous seuls tous ces biens mais d'en faire profiter largement ceux qui ont été moins favorisés par la Providence.

La noblesse de bienfaisance et de vertu, chers fils et filles, a été elle aussi conquise par vos ancêtres, et en témoignent les monuments et les maisons, les hospices, les asiles, les hôpitaux de Rome, où leurs noms et leur souvenir racontent leur bonté solide et prévoyante envers les malheureux et les nécessiteux.

Nous savons bien que dans le Patriciat et la Noblesse romaine, cette gloire et cette émulation pour le bien n'ont jamais diminué, dans la mesure où les facultés de chacun l'ont permis. Mais à cette heure pénible, où le ciel est tourmenté de nuits de veille et d'inquiétude, votre âme — tout en conservant noblement sa gravité, ou plutôt, son austérité de vie qui exclut toute légèreté et tout plaisir frivole, incompatibles pour tout coeur noble avec le spectacle de tant de souffrances — sent plus vivement encore le désir d'une charité effective qui vous incite à augmenter et multiplier les mérites que vous avez déjà acquis en soulageant les misères et la pauvreté humaine. Combien d'occasions vous ()Mira le nouvel an, qui débute par de nouvelles épreuves et de nouveaux événements, de faire du bien non seulement dans l'intérieur de votre foyer, mais encore en dehors! Combien de nouveaux champs de secours et d'assistance! Combien de larmes secrètes à essuyer! Combien de douleurs à adoucir! Combien d'angoisses physiques et morales à soulager!

Quel sera le cours de l'année qui vient de commencer, c'est le secret et le dessein de Dieu, sage et prévoyant, qui gouverne et dirige Son Eglise et le genre humain vers ce terme où triomphent Sa miséricorde et Sa justice. Mais Notre ardent désir, Notre prière, Notre souhait, c'est la paix juste et durable et la tranquillité du monde dans l'ordre; la paix, qui réjouisse tous les peuples et toutes les nations, la paix qui, ramenant le sourire sur tous les visages, suscite dans les coeurs l'hymne de la louange et de la reconnaissance la plus haute envers le Dieu de paix que nous adorons dans la crèche de Bethléem.

Dans ces voeux, chers fils et chères filles, est renfermée aussi l'espérance d'une année non malheureuse mais clémente pour vous tous dont l'agréable présence met sous Nos yeux l'image de tous les âges de l'homme qui sous la protection divine, s'avance dans le sentier de la vie et dont la pratique des vertus privées et publiques constitue la meilleure louange à ses pas. Aux anciens, gardiens de nobles traditions familiales et dont la sage expérience est un flambeau pour les plus jeunes; aux pères et aux mères, maîtres et exemples de vertu pour leurs fils et leurs filles; aux jeunes qui grandissent purs, sains, laborieux, dans la sainte crainte de Dieu, espérance de leurs familles et de leur patrie bien-aimée; aux enfants qui rêvent déjà de futures entreprises dans les mouvements et les jeux de leur enfance; à vous tous qui jouissez de la vie en commun et de la joie familiale, Nous adressons de paternels et vifs souhaits, qui répondent au désir de chacun et chacune d'entre vous, nous souvenant que nos désirs sont toujours passés au crible et pesés, pour notre plus grand bien, sur la balance de Dieu, sur laquelle, bien souvent, a moins de poids, ce que nous demandons, que ce qu'Il nous accorde.

Telle est la prière que Nous élevons pour vous vers le Seigneur, au début de cette année nouvelle, derrière les voiles impénétrables de laquelle règne, gouverne et agit la Providence souveraine qui commande avec amour à l'univers et au monde des événements humains. Nous invoquons sur vous l'abondance des faveurs célestes et, pleinement confiants en l'immense bonté divine, Nous accordons à tous et à chacun de vous, à tous ceux qui vous sont chers et à tous ceux que vous avez dans l'esprit et dans le coeur, Notre paternelle Bénédiction Apostoliques (2).

(2) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tip. Poligl. Vaticana, 5-1-1941, p. 363-366.

Allocution du 5 janvier 1942

Les voeux de nouvel an, chers fils et chères filles, que votre illustre interprète Nous a présentés en termes si élevés, veulent, dans votre pensée, manifester par-dessus tout le filial attachement au Siège apostolique qui anime votre foi et constitue la plus belle gloire du Patriciat et de la Noblesse romaine. Nous vous en remercions profondément et de grand coeur. Notre amour, répondant au vôtre, veut vous offrir en échange, à juste titre, Nos voeux pour vous et pour vos familles, afin de vous attester,une fois encore, Notre reconnaissante et particulière affection pour vos sentiments si vivants de traditionnelle fidélité au Vicaire du Christ.

Si cette filiale et paternelle rencontre dans la maison du Père commun n'est certes pas rare, cependant la puissance de la coutume ou de la tradition n'en diminue pas la douceur et l'agrément, de même que le retour des fêtes de Noël n'amoindrit pas la joie religieuse, ni l'aurore du nouvel an ne voile l'horizon des espérances. Est-ce que le renouvellement de la sainte joie de l'esprit n'a pas quelque ressemblance avec le renouvellement du jour, de l'année, de la nature ? L'âme a aussi son renouveau et sa renaissance. Nous renaissons, nous revivons en commémorant les mystères de notre foi. Dans la grotte de Bethléem, nous adorons de nouveau l'Enfant-Dieu, notre Sauveur, nouveau soleil et lumière du monde, comme sur nos autels se renouvelle le Calvaire perpétuel d'un Dieu crucifié et mourant par amour pour nous.

En vous souvenant de vos aïeux, d'une certaine manière vous les revivez; et vos aïeux revivent dans vos noms et dans les titres qu'ils vous ont laissés par leurs mérites et leurs grandeurs. Ne sont-ce pas des mots lourds de gloire et riches de sens que ceux de Patriciat et de Noblesse de cette Rome, dont le nom a traversé les siècles et resplendit sur le monde comme sceau de foi et de vérité descendu du ciel pour ennoblir l'homme ?

Humainement, le nom de Patriciat évoque en nous le souvenir de ces anciennes gentes dont les origines se perdent dans les brouillards de la légende, mais qui, à la claire lumière de l'histoire, apparaissent comme des intelligences et des volontés qui ont fait essentiellement la puissance et la grandeur romaines aux époques les plus glorieuses de la République et de l'Empire, quand les Césars, dans leur gouvernement, ne remplaçaient pas la raison par le caprice. Hommes rudes, les plus anciens, tous pénétrés des destinées de la Cité, identifiaient leurs propres intérêts avec ceux de la chose publique, poursuivant leurs vastes et audacieux desseins avec une constance, une persévérance, une sagesse et une énergie qui jamais ne se démentaient.

Aujourd'hui encore, ils suscitent l'admiration de quiconque fait revivre dans son souvenir ces siècles lointains. Ils étaient les Patres, et leurs descendants «Patres certe ab honore, patriciique progenies eorum appellati» — Ils étaient appelés pères en vertu de l'honneur et de leur descendance des patrices (Liv. I.1, c. 8, n. 7)— lesquels savaient unir au patriciat du sang, la noblesse de la sagesse, de la valeur et de la vertu civique, dans une intention et dans un plan de conquête du monde, que Dieu, contre leur pensée, devait un jour, dans son éternel conseil, changer en un champ ouvert et prêt aux luttes et victoires saintes pour les héros de son Evangile, tandis que de la Cité, il ferait la Rome des peuples croyant au Christ, élevant au-dessus des souvenirs muets des pontifes suprêmes du paganisme, l'immortel Pontificat et Magistère de Pierre.

C'est pourquoi, du point de vue chrétien et surnaturel, l'expression «patriciat romain» éveille dans Notre esprit une pensée et une vision d'histoire encore plus grandes. Si le terme de patricien, patricius, désignait dans la Rome païenne le fait d'avoir des ancêtres, d'appartenir à une classe privilégiée et dominante, et non à une famille de condition commune, il prend, à la lumière chrétienne, un aspect plus lumineux et résonne plus profondément, puisqu'il associe l'idée d'une supériorité sociale à celle d'une illustre ascendance.

C'est le patriciat de la Rome chrétienne qui eut ses plus hauts et plus anciens éclats, non seulement dans le sang mais dans la dignité de protecteurs de Rome et de l'Eglise: patricius Romanorum, titre porté dès le temps des Exarques de Ravenne jusqu'à Charlemagne et Henri III. Les papes eurent ainsi à travers les siècles, des défenseurs armés de l'Eglise, issus des familles du patriciat romain; et Lépante signala et immortalisa un de ses grands noms dans les fastes de l'histoire. Aujourd'hui, chers fils et chères filles, le Patriciat et la Noblesse romaine sont appelés à défendre et à protéger l'honneur de 1 'Eglise par les armes du prestige d'une vertu morale, sociale et religieuse, qui doit resplendir au milieu du peuple romain et à la face du monde.

Les inégalités sociales, même celles liées à la naissance, sont inévitables. La nature bienveillante et la bénédiction de Dieu sur l'humanité illuminent et protègent les berceaux, les embrassent, mais ne les nivellent pas. Regardez les sociétés les plus inexorablement égalisées. Aucun artifice n'a jamais pu faire que le fils d'un grand chef ou d'un grand conducteur de foules, demeure en tout dans la même situation que celle d'un obscur citoyen perdu au milieu du peuple. Ces inégalités inéluctables peuvent, du point de vue païen, apparaître comme une conséquence inflexible du conflit des forces sociales et de la suprématie acquise par les uns sur les autres, par l'effet de lois aveugles qui, estime-t-on, régissent l'activité humaine de manière à aboutir au triomphe des uns comme au sacrifice des autres; mais un esprit instruit et éduqué chrétiennement ne peut au contraire les considérer que comme une disposition voulue par Dieu qui, dans un dessein semblable, établit des inégalités dans la famille, destinées à unir davantage les hommes entre eux dans leur voyage de la vie présente vers la patrie du ciel, les uns aidant les autres, comme le père aide la mère et les enfants.

Si cette conception paternelle de la supériorité sociale a entraîné parfois les âmes, en raison de la véhémence des passions humaines, à des déviations dans les relations entre des personnes de rang plus élevé et d'autres de condition plus humble, l'histoire de l'humanité déchue ne s'en étonne pas. De telles déviations ne réussissent pas à diminuer ni à voiler la vérité fondamentale: pour le chrétien les inégalités sociales s'établissent dans une grande famille humaine; et donc, les relations entre classes et rangs inégaux doivent rester régies par une probe et équitable justice et, en même temps, doivent être empreintes d'un respect et d'une affection réciproques qui, sans supprimer les différences, réduisent cependant les distances et tempèrent les contrastes.

Dans les familles vraiment chrétiennes, ne voyons-nous pas les plus grands parmi les patriciens et les patriciennes veiller avec attention et sollicitude à garder envers leurs domestiques et envers tous ceux qui les entourent une attitude en harmonie sans doute avec leur rang, mais affranchie de toute présomption, disposée à la bienveillance et à la courtoisie des paroles et des procédés, démontrant la noblesse de coeurs qui voient en ces hommes, des frères, des chrétiens unis à eux dans le Christ par les liens de la charité ? Cette charité qui, dans les palais des ancêtres, au milieu des grands et des humbles, réconforte, soutient, réjouit et adoucit l'existence, surtout aux heures de tristesse et de souffrance qui ne manquent jamais ici-bas ?

Vous, chers fils et chères filles, en tant que Patriciat et Noblesse romaine, dans cette Rome, centre de la communauté chrétienne, dans l'Eglise mère et chef de toutes les Eglises du monde catholique, autour de Celui que le Christ a établi son Vicaire et Père commun de tous les fidèles, vous avez été placés par la divine Providence dans une place élevée, afin que votre dignité rayonne à la face du monde par son dévouement au Siège de Pierre, tel un exemple de vertu civique et de grandeur chrétienne. Si toute prééminence sociale entraîne avec elle des charges et des obligations, celle qui vous est échue de par la main de Dieu exige de vous, spécialement en cette heure grave et tempétueuse — heure ténébreuse à cause des discordes, des affreuses et sanglantes disputes entre les hommes, heure qui appelle à la prière et à la pénitence, vertus qui chez tous transforment et corrigent, en conformité avec la loi divine, la façon de vivre comme nous l'admonestent, sans aucun doute très clairement, les angoisses présentes et l'incertitude des dangers futurs — cette prééminence, disions-Nous, exige de vous une plénitude de vie chrétienne, une conduite irréprochable et austère, une fidélité à tous vos devoirs de famille, à toutes vos obligations privées et publiques, qualités qui ne doivent jamais se démentir mais briller avec éclat et vigueur devant les yeux de tous ceux qui vous regardent et vous admirent. A ceux-là vous devez, par vos actes et par votre conduite, montrer, avec le véritable chemin pour avancer dans le bien, que le meilleur ornement du Patriciat et de la Noblesse romaine c'est l'excellence de la vertu.

Dès lors, tout en demandant à Jésus-Enfant, humble, pauvre, mais de race royale, Roi Incarné des anges et des hommes, qu'Il soit votre guide dans l'accomplissement de la mission qui vous est assignée, qu'Il vous éclaire et vous fortifie par sa grâce, Nous vous donnons, chers fils et chères filles, de tout coeur, Notre paternelle Bénédiction Apostolique. Nous voulons qu'elle descende et demeure également sur tous ceux qui vous sont chers; en particulier, sur tous ceux qui sont loin de vous, qui, dans l'accomplissement de leur devoir, se trouvent exposés aux dangers auxquels ils font face avec une valeur égale à la noblesse de leur sang; sur ceux qui sont peut-être disparus, blessés, prisonniers. Que cette Bénédiction descende sur vous et qu'elle soit un baume, un réconfort, une protection, un gage des faveurs et des secours célestes les plus choisis et les plus abondants; qu'elle soit pour le monde inquiet et bouleversé l'espoir de la tranquillité et de la paix! (3)

(3) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 5-1-1942, p. 345-349.

 

Allocution du 11 janvier 1943

Aux souhaits fervents, chers fils et filles, que l'auguste adresse de votre illustre interprète Nous a présentés en votre nom, comment pourraient ne pas répondre les voeux que Nous adressons à Dieu pour vous ? Nous éprouvons, en ce moment, une douce consolation et une joie profonde, non surpassées par la tristesse de l'heure présente, parce qu'en vos personnes Nous voyons en quelque sorte représentée devant Nous toute Notre chère Rome. La Divine Providence, dans Ses desseins, vous a élevés à un éminent état au cours de l'histoire; vous en avez conscience et vous en concevez, en même temps, une légitime fierté ainsi qu'un sentiment de grave responsabilité.

Par un privilège de la naissance, le divin conseil vous a placés comme une cité sur la montagne; vous ne pouvez pas, en conséquent, rester cachés (Matth., V, 14); il vous a ensuite destinés à vivre en plein XXe siècle, actuellement, en des jours de restrictions et d'angoisses. Si vous êtes encore placés en haut et si vous dominez de haut, ce n'est plus à la manière de vos ancêtres. Vos aïeux, vivant dans leurs forteresses et dans leurs châteaux isolés, difficilement accessibles, pourvus d'une formidable garde — tours et manoirs épars dans toute l'Italie, y compris la région romaine — avaient là un refuge contre les incursions des rivaux ou des malfaiteurs; ils y organisaient la défense armée et de là descendaient combattre dans la plaine. Vous aussi, leurs petits-fils, vous attirez les regards de ceux qui vivent en bas, dans la vallée. Considérez dans l'histoire les grands noms, ceux que vous portez, rendus fameux par la valeur militaire, par des services sociaux dignes de toute louange et de toute récompense, par le zèle religieux, par la sainteté: combien de magnifiques auréoles les nimbent! Le peuple les a chantés et exaltés par la voix de ses écrivains et de ses poètes, par la main de ses artistes. Mais il a jugé aussi, et il juge encore, avec une implacable sévérité, allant parfois jusqu'à l'injustice, leurs erreurs et leurs fautes. Si vous en cherchez la raison, vous la trouverez dans leurs hautes charges, dans leurs postes de responsabilité, qui ne s'accommodent pas avec les chutes ou les manquements, pas même avec une honnêteté commune ni avec une simple et ordinaire médiocrité.

La responsabilité que vous, chers fils et filles, et en général la noblesse, portez à l'égard du peuple, n'est pas moins lourde aujourd'hui que celle qui pesait jadis sur vos ancêtres des siècles passés, ainsi que l'enseigne l'histoire avec une grande clarté.

Si nous regardons, en effet, les peuples qui en plein accord professaient autrefois la foi et la civilisation chrétienne, nous voyons présentement de vastes champs de ruines religieuses et morales; et bien rares sont les contrées du vieil Occident chrétien au sein desquelles l'avalanche du bouleversement spirituel n'ait pas laissé de traces de sa dévastation.

Nous ne voulons pas dire que tout ait été bouleversé ou tous opprimés; bien au contraire, Nous n'hésitons pas à affirmer que rarement au cours des âges, la vivacité et la fermeté de la foi, le dévouement au Christ et l'empressement à défendre Sa cause furent, dans le monde catholique, aussi francs , aussi manifestes, aussi vigoureux qu'aujourd'hui, à tel point que l'on pourrait, sous divers points de vue, faire une comparaison avec les premiers siècles de l'Eglise. Mais la comparaison elle-même fait apparaître le revers de la médaille. Le front chrétien se heurte maintenant encore à une civilisation non-chrétienne, et même, dans notre cas — et cela aggrave la situation par rapport aux premiers siècles du christianisme — à une civilisation qui s'est éloignée du Christ. Cette déchristianisation est aujourd'hui si puissante et si audacieuse qu'il est bien souvent difficile à l'atmosphère spirituelle et religieuse de se répandre et de se garder entièrement de son souffle empoisonné.

Il convient cependant de rappeler que le point de départ de cet acheminement vers l'incrédulité et l'irréligion se situe non pas en bas mais en haut, c'est-à-dire dans les classes dirigeantes, les groupes d'élites, la noblesse, les penseurs et les philosophes. Nous n'entendons pas parler ici —notez-le bien — de toute la noblesse, et moins encore de la Noblesse romaine qui s'est largement distinguée par sa fidélité à l'Eglise et au Siège apostolique, et les éloquentes et filiales expressions que Nous venons d'entendre en donnent une nouvelle et lumineuse preuve, mais de la noblesse européenne en général. Au cours des derniers siècles, n'a-t-on pas constaté, dans l'Occident chrétien, une évolution spirituelle qui, pour ainsi dire, horizontalement et verticalement, en largeur et en profondeur, démolissait et rongeait de plus en plus la foi, conduisant à cette ruine que présentent aujourd'hui des multitudes d'hommes sans religion ou hostiles à la religion, ou tout au moins, poussés et égarés par un scepticisme sourd et erroné envers le surnaturel et le christianisme ?

A l'avant-garde de cette évolution se trouvait la soi-disant Réforme; au cours de ces convulsions et guerres, une grande partie de la noblesse européenne se détacha de l'Eglise catholique et en spolia les biens. Mais l'incrédulité proprement dite se répandit dans les temps qui précédèrent la Révolution française. Les historiens notent que l'athéisme, même sous le vernis du déisme, s'était alors propagé rapidement parmi la haute société en France et ailleurs. Croire en Dieu Créateur et Rédempteur était devenu, dans ce monde adonné à tous les plaisirs sensuels, une chose presque ridicule et incompatible avec un esprit cultivé et avide de nouveauté et de progrès.

Dans la plupart des salons des plus grandes dames, des plus raffinées — où l'on débattait des problèmes les plus difficiles de religion, philosophie et politique — les hommes de lettres et les philosophes, fauteurs de théories subversives, étaient considérés comme l'ornement le plus beau et le plus recherché de ces rencontres mondaines. L'impiété était de mode dans la haute noblesse et les écrivains les plus en vogue auraient été moins audacieux dans leurs attaques contre la religion s'ils n'eussent pas recueilli les applaudissements et les encouragements de la société la plus élégante.

Non pas, certes, que la noblesse et les philosophes se proposassent tous et directement comme but la déchristianisation des masses. Au contraire, la religion devait rester pour le peuple simple comme un moyen de gouvernement aux mains de l'Etat. Quant à eux, ils se sentaient et s'estimaient supérieurs à la foi et aux préceptes moraux qui en découlent. Politique qui se dévoila vite funeste et à courte vue, même pour qui la considérait sous son aspect purement psychologique.

Avec la rigueur de la logique, le peuple, puissant dans le bien, terrible dans le mal, sait tirer les conséquences pratiques de ses observations et jugements, fondés ou erronés. Consultez l'histoire de la civilisation des deux derniers siècles; elle révèle et démontre quels préjudices causèrent à la foi et aux moeurs des peuples le mauvais exemple venu d'en haut, la frivolité religieuse des classes élevées, la lutte intellectuelle ouverte contre la Vérité révélée.

Et maintenant, que faut-il déduire de ces enseignements de l'histoire ? Que le salut aujourd'hui doit avoir son point de départ là même où la perversion a eu son origine. Il n'est pas difficile en soi de maintenir dans le peuple la religion et les bonnes moeurs lorsque les hautes classes le précèdent de leur bon exemple et créent des conditions publiques qui ne rendent pas pesante outre mesure la formation de la vie chrétienne, mais la font imitable et douce.

Ne serait-ce pas aussi votre tâche, chers fils et filles qui, par la noblesse de vos familles et par les charges que vous occupez bien souvent, appartenez aux classes dirigeantes ? La grande mission qui vous est confiée, et avec vous à beaucoup d'autres — c'est-à-dire, de commencer par la réforme ou le perfectionnement de la vie privée, en vous-mêmes et dans votre maison, et de vous employer, chacun à son poste et pour sa part, à faire surgir un ordre chrétien dans la vie publique — ne permet ni atermoiement ni retard. Mission très noble et riche de promesses en un moment où, comme réaction contre le matérialisme dévastateur et avilissant, on constate de plus en plus dans les masses une nouvelle soif de valeurs spirituelles et, contre l'incrédulité, une ouverture très prononcée des âmes aux choses religieuses. Manifestations qui laissent espérer qu'a été dépassé définitivement le point le plus profond de la décadence spirituelle. C'est donc à vous que revient la gloire de collaborer, par la lumière et l'attrait du bon exemple non moins que par les oeuvres, et en vous élevant au-dessus de toute médiocrité, à l'heureuse réalisation de ces initiatives et de ces aspirations du bien religieux et social.

Que dire de l'efficacité et de la puissance de ces braves issus de votre rang qui, pénétrés de la grandeur de leur vocation, ont consacré entièrement leur vie à diffuser la lumière de la vérité et du bien, de ces «grands seigneurs de la plume», ainsi qu'on les a appelés, grands seigneurs de l'action intellectuelle, morale et religieuse ? Notre voix ne saurait trop les louer; c'est à eux que le divin Maître adresse la haute louange de bons et fidèles serviteurs, lesquels font rapporter d'excellents fruits aux talents qui leur ont été confiés.

Nous ajoutons volontiers que la fonction de la noblesse n'est pas de se contenter de resplendir à la manière d'un phare qui éclaire les navigateurs, mais qui ne bouge pas. Votre dignité consiste à vous tenir aussi aux aguets, du haut de la montagne sur laquelle vous êtes placés, toujours prêts à veiller sur toutes les peines, les souffrances, les angoisses dans la basse plaine, et vous empressant de descendre pour les soulager, comme de compatissants consolateurs et sauveteurs. En ces temps calamiteux, quel vaste champ s'offre au dévouement, au zèle et à la charité du Patriciat et de la Noblesse! Combien de grands exemples de vertu de la part d'illustres noms viennent réconforter Notre coeur! Certes, si la responsabilité devant les besoins est grande, l'action de celui qui s'y consacre est d'autant plus glorieuse qu'elle est plus grave! Vous aussi, en agissant ainsi, vous serez de plus en plus à la hauteur de votre rang, car le Père céleste qui vous a, d'une façon particulière, choisis et élevés pour être un refuge, une lumière, un secours au milieu du monde noyé dans l'anxiété, ne manquera pas de vous accorder en abondance et surabondance les grâces nécessaires pour répondre dignement à votre haute vocation.

Oui, véritablement haute est aussi votre vocation, dans laquelle esprit chrétien et condition sociale s'unissent et vous incitent à faire resplendir cette bonté qui se diffuse d'elle-même, vous acquérant avec profusion des mérites et de la gratitude auprès des hommes, et des mérites plus grands et plus nobles auprès de Dieu, juste rémunérateur du bien fait au prochain, qu'Il considère fait à Lui-même. Ne cessez donc pas d'oeuvrer afin que, par votre action généreuse, non seulement soit honoré votre nom bienfaisant, mais encore que le peuple exalte le christianisme qui anime votre vie, inspire votre activité et vous élève vers Dieu. Et en implorant de Dieu, chers fils et filles, toutes les faveurs célestes sur vos familles, sur vos enfants à l'ineffable sourire, sur les tout jeunes gens à la sereine adolescence, sur les jeunes gens à l'ardeur confiante, sur les hommes mûrs aux desseins virils, sur les vieillards aux sages conseils, liesse et soutien de vos insignes maisons, et spécialement sur les chers et valeureux absents, objet de vos pensées anxieuses et de votre particulière affection, Nous vous donnons, avec toute l'effusion de Notre âme, Notre paternelle Bénédiction Apostoliques (4).

(4) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tip. Polig. Vaticana, 11-1-1943, p. 357-362.

Allocution du 19 janvier 1944

Vous n'avez pas voulu, chers fils et chères filles, que les épreuves présentes qui interrompent et troublent la paisible marche de la vie familiale et sociale dussent vous empêcher de venir, comme les autres années, Nous offrir avec une filiale dévotion l'hommage de vos voeux. Cette époque tragique et douloureuse, pleine d'inquiétudes et de soucis, impose de graves devoirs, mesures et résolutions pour la reconstitution de la société humaine, lorsque l'épouvantable cataclysme mondial aura cessé et se sera calmé dans un lendemain pacifique. Jamais les prières n'ont été plus nécessaires; jamais les voeux n'ont été plus opportuns. De toute l'affection de Notre âme, Nous vous remercions de ceux que vous Nous avez présentés par la voix de votre illustre interprète. Nous vous disons un merci encore plus grand pour le concours des intentions et des actions que Nous sommes toujours sûrs de trouver en vous. Lorsque la maison brûle, le premier souci fait appeler au secours pour éteindre le feu; mais après le désastre, il convient de réparer les dommages et de relever l'édifice.

Nous assistons aujourd'hui à l'un des plus grands incendies de l'histoire, à l'un des plus profonds bouleversements politiques et sociaux signalés dans les annales du monde. Mais un nouvel ordre social va lui succéder; son secret reste encore caché dans le conseil et le coeur de Dieu, régisseur prévoyant du cours des événements humains et de leur issue.

Les choses terrestres coulent comme un fleuve dans le lit du temps; le passé cède nécessairement la place et la voie à l'avenir, et le présent n'est qu'un instant fugace joignant l'un avec l'autre. C'est un fait, un mouvement, une loi; ce n'est pas un mal en soi. Le mal serait si ce présent, qui devrait être un flot tranquille dans la continuité du courant, devenait un raz-de-marée dévastant tout sur son parcours à la façon d'un typhon ou d'un ouragan et creusant dans sa furie destructrice et vorace un abîme entre ce qui fut et ce qui devait suivre. Ces bonds désordonnés que fait l'histoire dans son cours, constituent alors et déterminent ce que l'on appelle une crise, autant dire un passage dangereux qui peut aboutir au salut ou à une ruine irréparable, mais dont la solution est encore enveloppée de mystère au sein des nuages noirs des forces qui s'opposent.

Celui qui, avec attention, regarde, étudie et juge le passé le plus proche, ne peut nier que le mal réalisé aurait pu être évité, qu'il était possible de conjurer la crise grâce à une façon normale de procéder dans laquelle chacun aurait honorablement et courageusement accompli la mission que la Providence divine lui assignait.

La société humaine n'est-elle pas ou du moins ne devrait-elle pas ressembler à une machine bien ordonnée dont toutes les parties concourent au fonctionnement harmonieux de l'ensemble ? Chacune a sa fonction; chacune doit s'appliquer à faire mieux progresser l'organisme social et, selon ses propres forces et vertus, en rechercher le perfectionnement, si elle aime véritablement son prochain et désire raisonnablement le bien et le profit de tous.

Mais quelle partie vous a-t-on spécialement confiée, chers fils et chères filles ? Quelle mission vous a-t-on particulièrement attribuée ? Précisément celle de faciliter ce développement normal: service que, dans la machine, jouent et remplissent le régulateur, le volant, le rhéostat, qui participent à l'activité commune et reçoivent leur part de force motrice pour assurer le mouvement de régime propre à l'appareil. En d'autres termes, Patriciat et Noblesse, vous représentez et continuez la tradition.

Ce mot, on le sait bien, sonne de façon désagréable à beaucoup d'oreilles; il déplaît à bon droit quand il est prononcé par certaines lèvres. Quelques uns le comprennent mal; d'autres en font le prétexte fallacieux de leur égoïsme inactif. Dans un dissentiment et un désaccord si dramatiques, nombre de voix envieuses, souvent hostiles et de mauvaise foi, plus souvent encore ignorantes ou trompées, vous interrogent et vous demandent sans égard: à quoi servez-vous ? Pour leur répondre, il convient d'abord de s'entendre sur le vrai sens et la valeur de cette tradition dont vous désirez être avant tout les représentants.

Beaucoup d'esprits, même sincères, s'imaginent et croient que la tradition n'est rien que le souvenir, le pâle vestige d'un passé qui n'est plus, qui ne peut plus revenir, qui tout au plus est, avec vénération, avec reconnaissance si l'on veut, relégué et conservé dans un musée que peu d'admirateurs ou amis visitent. Si la tradition consistait en cela, se réduisait à cela, et comportait le refus ou le mépris de la marche vers l'avenir, on aurait raison de lui refuser respect et honneur, et il faudrait regarder avec pitié les rêveurs du passé, retardataires en face du présent et du futur, et avec une plus grande sévérité encore ceux qui, poussés par des intentions moins respectables et moins pures, ne sont que les déserteurs des devoirs de l'heure si endeuillée qui s'écoule.

Mais la tradition est une chose très différente du simple attachement à un passé disparu: elle est à l'opposé d'une réaction qui se méfie de tout sage progrès. Son nom lui-même étymologiquement est synonyme de cheminement et de marche en avant — synonymie, non identité. En effet, tandis que le mot progrès indique seulement le fait d'aller en avant, un pas après l'autre, en cherchant du regard un avenir incertain, la tradition signifie aussi une marche en avant mais une marche continue qui se déroule en même temps avec tranquillité et vigueur, selon les lois de la vie, échappant à l'angoissante alternative: «Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait!». Elle ressemble à ce M. de Turenne dont il a été dit: «Il eut dans sa jeunesse toute la prudence d'un âge avancé, et dans l'âge avancé toute la vigueur de la jeunesse» (Fléchier, Oraison funèbre, 1676).

Sous la force de la tradition, la jeunesse, éclairée et guidée par l'expérience des anciens, s'avance d'un pas plus assuré, et la vieillesse transmet et livre avec confiance la charrue à des mains plus vigoureuses qui vont continuer le sillon commencé. Comme l'indique son nom, la tradition est le don qui passe de génération en génération, le flambeau qu'à chaque relais le coureur confie et remet dans la main d'un autre coureur sans que la course s'arrête ou se ralentisse. Tradition et progrès se complètent réciproquement avec tant d'harmonie que tout comme la tradition sans le progrès se contredirait elle-même, le progrès sans la tradition serait une entreprise téméraire, un saut dans l'obscurité.

Non, il ne s'agit pas de ramer à contre-courant, de retourner vers les formes de vie et d'action des âges disparus, mais bien, en prenant et en suivant ce que le passé a de meilleur, d'avancer à la rencontre de l'avenir avec la vigueur immuable de la jeunesse.

En agissant ainsi, votre vocation resplendit déjà toute tracée, grande et laborieuse, d'une façon qui devrait vous mériter la reconnaissance de tous et vous mettre bien au-dessus des accusations qui vous ont été lancées d'un côté ou de l'autre.

Tandis que vous visez avec prévoyance à aider le vrai progrès, pour un avenir plus sain et plus heureux, ce serait de l'injustice et de l'ingratitude de vous reprocher ou de trouver déshonorant votre culte du passé, l'étude de votre histoire, l'amour de saintes coutumes, la fidélité inébranlable aux principes éternels. Les exemples glorieux ou malheureux de ceux qui ont précédé l'époque actuelle sont une leçon et une lumière devant vos pas. Il a déjà été dit à bon droit que les enseignements de l'histoire font de l'humanité un homme toujours en marche qui ne vieillit jamais. Vous vivez dans la société moderne, non comme des émigrés dans un pays étranger, mais comme des citoyens méritants et insignes qui entendent et veulent travailler avec leurs contemporains afin de préparer l'assainissement, la restauration et le progrès du monde.

Il y a des maladies pour la société comme il y en a pour les individus. Ce fut un grand événement dans l'histoire de la médecine quand un jour, le célèbre Laennec, homme de génie et de foi, penché avec anxiété sur la poitrine des malades et armé du stéthoscope qu'il avait inventé, ausculta, perçut et interpréta les souffles les plus légers, les phénomènes acoustiques à peine perceptibles des poumons et du coeur. N'est-ce pas une fonction sociale de premier ordre et de haut intérêt que celle de pénétrer au sein du peuple et d'ausculter les aspirations et les malaises de ses contemporains, d'entendre et discerner les battements de leurs coeurs, de chercher remède aux maux communs, de toucher délicatement leurs plaies pour les guérir et les préserver de l'infection toujours possible par suite du manque de soins, en évitant de les irriter par un contact trop rude ?

Comprendre, aimer dans la charité du Christ le peuple de votre temps; prouver par des faits cette compréhension et cet amour: voilà l'art de faire ce plus grand bien qu'il vous appartient de réaliser, non seulement avec ceux qui vous entourent directement, mais dans une sphère quasi illimitée quand votre expérience devient un bienfait pour tous. Et en cette matière, quelles splendides leçons donnent tant de nobles esprits disposés avec ardeur et enthousiasme à diffuser et susciter un ordre social chrétien!

Non moins offensant pour vous, non moins dommageable à la société serait le préjugé mal fondé et injuste qui ne craindrait pas de faire croire et d'insinuer que le Patriciat et la Noblesse manqueraient à leur propre honneur et à la dignité de leur classe en occupant et en exerçant des fonctions et des métiers qui les inséreraient dans l'activité générale. Il est bien vrai qu'en d'autres temps l'exercice d'une profession n'était pas ordinairement reconnu comme digne des nobles, le métier des armes excepté; mais, même alors, de nombreux membres de la noblesse n'hésitaient pas, aussitôt que la défense armée les rendait libres, à se consacrer à des activités intellectuelles ou au travail de leurs mains. Aujourd'hui, dans les nouvelles conditions politiques et sociales, il n'est pas rare de trouver des noms de grandes familles associés aux progrès de la science, de l'agriculture, de l'industrie, de l'administration publique, du gouvernement; observateurs d'autant plus perspicaces du présent et pionniers d'autant plus sûrs et audacieux de l'avenir, qu'ils sont fermement attachés au passé, prompts à tirer profit de l'expérience de leurs ancêtres et attentifs à se garantir contre les illusions ou les erreurs qui furent la cause de beaucoup de faux pas nocifs.

Gardiens, comme vous voulez l'être, de la véritable tradition qui illustre vos familles, vous avez la mission et la gloire de contribuer au salut de la convivialité humaine, en la préservant soit de la stérilité à laquelle la condamneraient les contemplateurs mélancoliques trop jaloux du passé, soit de la catastrophe vers laquelle l'achemineraient et la conduiraient des aventuriers téméraires ou les prophètes hallucinés d'un avenir fallacieux et mensonger. Dans votre ouvrage apparaîtra, au-dessus de vous et en vous, l'image de la Providence divine qui, avec force et douceur, dispose et dirige toutes choses vers leur perfectionnement (Sag. 8, 1), tant que la folie de l'orgueil humain ne se met pas en travers de Ses desseins, toujours supérieurs au mal, à l'imprévu et au hasard. Par une telle action, vous serez également de précieux collaborateurs de l'Eglise qui, même au milieu des agitations et des conflits, ne cesse de promouvoir le progrès spirituel des peuples, cité de Dieu sur la terre qui prépare la Cité Eternelle.

Nous implorons les plus abondantes grâces célestes sur cette mission sainte et féconde qu'est la vôtre, à laquelle, Nous en sommes certains, vous continuerez fermement à correspondre, en travaillant avec un zèle et un don de soi qui sont plus que jamais nécessaires dans ces jours pénibles. En attendant, Nous donnons de grand coeur Notre paternelle Bénédiction Apostolique à vous et à vos chères familles, aux présents et aux absents, aux bien portants et aux malades, aux prisonniers, aux dispersés, à tous ceux qui se trouvent exposés aux plus amères souffrances ou aux plus cuisants dangers (5).

(5) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 19-1-1944, p. 177-182.

 

Allocution du 14 janvier 1945

Une fois de plus, chers fils et filles, au milieu des bouleversements, des deuils, des inquiétudes de toutes sortes qui tourmentent la famille humaine, vous êtes venus Nous offrir les souhaits zélés que votre illustre interprète Nous a présentés avec noblesse de sentiment et délicatesse de termes. Nous vous en remercions de tout coeur, ainsi que des prières par lesquelles, en un temps si agité, vous Nous assistez dans l'accomplissement des devoirs redoutables qui pèsent sur Nos faibles épaules.

De même qu'après toutes les guerres et les grandes calamités il y a toujours des plaies à guérir et des ruines à réparer, ainsi, après les grandes crises nationales, il y a toute une adaptation à réaliser pour ramener dans l'ordre général un pays troublé et endommagé, pour lui faire reconquérir la place qui lui revient, reprendre son chemin vers ce progrès et ce bien-être que lui assignent sa condition et son histoire, ses biens matériels et ses facultés spirituelles.

Cette fois, l'oeuvre de restauration est incomparablement plus étendue, plus délicate et plus complexe. Il ne s'agit pas de réintégrer une seule nation dans la normalité. C'est le monde entier, on peut le dire, qui est à réédifier; c'est l'ordre universel qui est à rétablir. Ordre matériel, ordre intellectuel, ordre moral, ordre social, ordre international, tout est à refaire et à remettre en marche régulière et constante. Cette tranquillité de l'ordre, qui est la paix, la seule paix véritable, ne peut renaître et durer qu'à la condition de faire reposer la société humaine sur le Christ, pour recueillir, récapituler et rassembler tout en Lui: «instaurare omnia in Christo» (Eph. I, 10); par l'union harmonieuse des membres entre eux et leur incorporation à l'unique Chef qui est le Christ (Eph. IV, 15).

On admet en général que cette réorganisation ne peut être conçue comme un retour pur et simple au passé. Un recul semblable n'est pas possible. Bien que livré à un mouvement souvent désordonné, déconnecté, sans unité ni cohérence, le monde a continué à marcher. L'histoire ne s'arrête pas, ne peut s'arrêter; elle avance toujours, poursuivant son cours ordonné et droit, ou confus et sinueux, vers le progrès ou vers une illusion de progrès. Néanmoins, elle chemine; elle court, et vouloir simplement «faire marche arrière» — Nous ne voulons pas dire pour réduire le monde à l'immobilité sur des positions vieillies, mais pour le ramener à un point de départ malencontreusement abandonné en raison de déviations ou d'erreurs d'aiguillage — serait une entreprise vaine et stérile.

Ce n'est pas en cela que consiste, ainsi que Nous l'avons observé l'an passé en cette même occasion, la véritable tradition. La reconstruction d'un édifice destiné à servir actuellement ne saurait être conçue comme une reconstitution archéologique; elle ne pourrait non plus se faire selon des projets arbitraires même si, théoriquement, ils étaient les meilleurs et les plus désirables. Il faut garder présente la réalité inéluctable, la réalité dans toute son extension.

Nous ne prétendons pas dire par là qu'il faille se contenter de voir passer le courant, moins encore de le suivre, de voguer suivant son caprice, au risque de laisser la barque heurter l'écueil ou sombrer dans l'abîme. L'énergie des torrents, des cataractes, a été rendue non seulement inoffensive, mais utile, féconde, bienfaisante, par ceux qui, au lieu de réagir contre elle ou de lui céder, ont su la diriger au moyen d'écluses, de barrages, de canalisations et de dérivations. Telle est la charge des dirigeants: le regard fixé sur les principes immuables de l'activité humaine, ils doivent savoir et vouloir appliquer ces normes indéfectibles aux contingences de l'heure.

Dans une société qui a progressé comme la nôtre, qui devra être restaurée, réordonnée après le grand cataclysme, les fonctions de dirigeant sont assez diverses: dirigeant l'homme d'Etat, de gouvernement, l'homme politique; dirigeant l'ouvrier qui, sans recourir à la violence, aux menaces, à la propagande insidieuse, mais par sa propre valeur, a su conquérir autorité et crédit autour de lui; dirigeants, chacun dans son domaine, l'ingénieur et le juriste, le diplomate et l'économiste, sans lesquels le monde matériel, social, international irait à la dérive; dirigeants, le professeur universitaire, l'orateur, l'écrivain qui ont comme but de former et de guider les esprits; dirigeant, l'officier qui inculque à ses soldats le sens du devoir, du service, du sacrifice; dirigeant, le médecin dans l'exercice de sa mission salutaire; dirigeant, le prêtre qui montre aux âmes le chemin de la lumière et du salut, et qui leur prodigue ses bons offices pour y marcher et avancer d'un pas sûr.

Quelle est, dans cette multitude de directions, votre place, votre fonction, votre devoir ? Ils se présentent sous un double aspect: fonction et devoir personnels pour chacun de vous, fonction et devoir de la classe à laquelle vous appartenez.

Le devoir personnel exige que, par votre vertu et par votre application, vous vous efforciez de devenir des dirigeants dans votre profession. Nous savons bien que la jeunesse actuelle de votre noble classe, consciente d'un présent obscur et d'un avenir encore plus incertain, est entièrement persuadée que le travail est non seulement un devoir social mais aussi une garantie individuelle de vie. Et Nous prenons le mot profession dans le sens le plus large et le plus riche, comme Nous l'avions déjà exposé l'an dernier, professions techniques ou libérales mais aussi activités politiques, sociales, occupations intellectuelles, oeuvres de tout genre, administration avisée, vigilante, laborieuse de vos patrimoines, de vos terres selon les méthodes les plus modernes et les plus expérimentées en culture, pour le bien matériel, moral, social, spirituel des colons et des populations qui vivent sur ces terres. A chacune de ces conditions vous devez apporter tout le soin nécessaire afin de réussir comme dirigeants, soit à cause de la confiance qu'ont en vous ceux qui sont restés fidèles aux traditions saines et vivantes, soit à cause de la méfiance de beaucoup d'autres, méfiance que vous devez vaincre, en gagnant leur estime et leur respect à force d'exceller en tout dans la position où vous vous trouvez, dans l'activité que vous exercez, quelle que soit la nature de cette position ou la forme de cette activité.

En quoi doit consister, par conséquent, votre excellence de vie et d'action, et quelles sont ses principales caractéristiques ?

Elle se manifeste avant tout dans la qualité exceptionnelle de votre oeuvre, qu'elle soit technique, scientifique, artistique ou autre. Le produit de vos mains et de votre esprit doit avoir cette empreinte de raffinement et de perfection qui ne s'acquiert pas du jour au lendemain, mais qui reflète la finesse de la pensée, du sentiment, de l'âme, de la conscience héritée de vos ancêtres et aiguillonnée sans cesse par l'idéal chrétien.

De plus, elle apparaît dans ce qui peut être appelé l'humanisme, c'est-à-dire la présence, l'intervention de l'homme accompli dans toutes les manifestations de son activité même spécialisée, de manière que la spécialisation de sa compétence ne devienne jamais une hypertrophie, qu'elle n'étouffe jamais ni ne voile la culture générale comme, dans une phrase musicale, la voix dominante ne doit jamais rompre l'harmonie ni étouffer la mélodie.

Elle se montre également dans la dignité de tout le comportement et de toute la conduite, dignité qui cependant, n'est pas impérieuse et qui, loin de souligner la distance, n'apparaît, au besoin, que pour inspirer aux autres une plus haute noblesse d'âme, d'esprit et de coeur.

Finalement, elle apparaît surtout dans le sens de moralité élevée, de rectitude, d'honnêteté, de probité qui doit modeler chaque parole et chaque acte. Une société immorale ou amorale qui ne ressent plus dans sa conscience et qui ne montre plus dans ses actions la distinction entre le bien et le mal, qui n'est plus horrifiée à la vue de la corruption, qui l'excuse, s'y adapte avec indifférence, l'accueille avec faveur, et la pratique sans troubles ni remords, qui l'exhibe sans rougir, s'y dégrade et raille la vertu, court à sa perte.

La haute société française du XVIII' siècle en fut, parmi beaucoup d'autres, un exemple tragique. Jamais société ne fut plus raffinée, plus élégante, plus brillante, plus fascinante. Les jouissances de l'esprit les plus variées, une intense culture intellectuelle, un art de plaire plein de finesse, une délicatesse exquise de manières et de langage dominaient cette société, extérieurement si courtoise et si aimable, mais où tout — livres, récits, peintures, meubles, habits, coiffures invitait à une sensualité qui pénétrait dans les veines et dans les coeurs; où même l'infidélité conjugale ne surprenait ni ne scandalisait presque plus. Cette société travaillait ainsi à sa propre décadence et courait vers l'abîme creusé par ses propres mains.

Toute autre est la véritable aristocratie: elle fait resplendir dans les relations sociales une humilité pleine de grandeur, une charité ignorant tout égoïsme, toute recherche de l'intérêt personnel. Nous n'ignorons point avec quelle bonté, douceur, dévouement, abnégation, beaucoup d'entre vous, et spécialement beaucoup de dames, dans ces temps de misères et d'angoisses infinies, se sont penchés sur les malheureux, ont su faire rayonner autour d'eux, dans toutes les formes les plus avancées et les plus efficaces, la lumière de leur charitable amour. Et ceci est l'autre aspect de votre mission.

C'est qu'en effet, malgré des préjugés aveugles et calomnieux, rien n'est si contraire au sentiment chrétien, au sens authentique et au but de votre classe, dans tous les pays, mais particulièrement dans cette ville de Rome, mère de foi et de vie sociale, qu'un étroit esprit de caste. La caste partage la société humaine en sections ou compartiments séparés par des cloisons étanches. La chevalerie, la courtoisie est d'inspiration surtout chrétienne; elle est le lien qui unit entre elles, sans confusion ni désordre, toutes les classes. Loin de vous obliger à un isolement hautain, votre origine vous incline plutôt à pénétrer dans toutes les couches sociales, pour communiquer cet amour de la perfection, de la culture spirituelle, de la dignité, ce sentiment de solidarité compatissante, qui est la fleur de la civilisation chrétienne.

Dans le moment présent, où abondent les divisions et les haines, quelle noble tâche vous a été assignée par les desseins de la Providence divine! Acquittez-vous-en avec votre foi et tout votre amour! En formulant ce souhait et en gage de Nos voeux paternels pour l'année déjà commencée, Nous vous accordons de tout coeur, à vous et à toutes vos familles, Notre Bénédiction Apostolique (1).

(6) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 14-1-1945, p. 273-277.

 

Allocution du 16 janvier 1946

Les années passées, chers fils et filles, après avoir paternellement accueilli les voeux que votre illustre interprète a coutume de Nous offrir en votre nom en pareille occurrence, avec un si profond sentiment et de si nobles expressions de foi et de filiale dévotion, Nous avions l'habitude d'ajouter à Nos remerciements quelques recommandations suggérées par les circonstances du moment. Nous vous parlions de vos devoirs et de votre rôle dans la société moderne tourmentée et vacillante, mais nécessairement d'une façon quelque peu générale, en face d'un avenir dont il était bien difficile de prévoir avec exactitude le délai et l'aspect.

Sans doute, il est encore obscur aujourd'hui; l'incertitude persiste et l'horizon demeure chargé de nuages menaçants; le conflit armé cesse à peine, les peuples se trouvent en présence d'une entreprise lourde de responsabilités, dont les conséquences pèseront sur le cours des temps et en marqueront les tournants. Il s'agit, en effet, non seulement pour l'Italie, mais encore pour bien d'autres nations, d'élaborer leurs constitutions politiques et sociales, soit pour en créer une entièrement nouvelle, soit pour remanier, retoucher, modifier plus ou moins profondément celles qui les régissent. Ce qui rend le problème encore plus ardu, c'est que toutes ces constitutions auront beau être différentes et autonomes, comme autonomes et différentes sont les nations qui entendent se les donner librement, elles n'en seront pas pour cela (en fait, sinon en droit) moins dépendantes les unes des autres. Il s'agit donc d'un événement de la plus haute importance et l'histoire du monde nous en offre rarement un semblable.

Il y a de quoi faire ici battre le pouls des plus hardis, pour peu qu'ils aient conscience de leurs responsabilités; de quoi troubler les plus clairvoyants, précisément parce qu'ils voient mieux et plus loin que les autres et que, convaincus de l'entreprise, ils comprennent plus nettement la nécessité de se livrer, dans le calme et dans le recueillement, aux mûres réflexions requises par des travaux d'une si grande portée. Et voici que, cependant, sous la poussée collective et réciproque, l'événement apparaît imminent; on devra l'affronter prochainement; il faudra peut-être dans peu de mois trouver les solutions et fixer les règles définitives qui feront sentir leurs effets sur les destinées, non pas d'un seul pays, mais du monde entier et qui une fois adoptées, établiront sans doute pour longtemps la situation universelle des peuples.

A cette entreprise, en notre ère de démocratie, doivent collaborer tous les membres de la société humaine; à savoir d'une part, les législateurs, de quelque nom qu'on les désigne, auxquels il incombe de délibérer et de tirer les conclusions; d'autre part, le peuple, auquel il appartient de faire valoir sa volonté par la manifestation de son opinion et par son droit de vote.

Vous aussi donc, que vous fassiez partie ou non de la future Assemblée constituante, vous avez votre tâche à remplir qui s'exerce à la fois sur les législateurs et sur le peuple. Quelle est cette tâche ?

Il vous est peut-être arrivé plus d'une fois de rencontrer, en l'église Saint-Ignace, des groupes de pèlerins et de touristes. Vous les avez vus s'arrêter, surpris, dans la vaste nef centrale, le regard fixé sur la voûte, où Andrea Pozzo a peint le stupéfiant triomphe du saint, dans la mission que lui a confiée le Christ de transmettre la lumière divine jusqu'aux confins les plus éloignés de la terre. En voyant la bousculade apocalyptique de personnages et d'architectures qui se heurtaient au-dessus de leurs têtes, ils croyaient d'abord au délire d'un fou. Vous les avez alors, courtoisement, conduits vers le centre. A mesure qu'ils s'en approchaient, les pilastres se dressaient verticalement, soutenant les arcs qui montaient dans l'espace, et chacun des visiteurs, se plaçant sur le petit disque circulaire qui indique au sol le point le mieux adapté pour voyait la voûte matérielle disparaître à son regard, pour lui faire contempler avec stupeur, dans cette admirable perspective, toute une vision d'anges et de saints, d'hommes et de démons, lesquels vivent et s'agitent autour du Christ et d'Ignace, en qui se centralise cette grandiose scène.

Le monde, lui aussi, pour quiconque le regarde dans sa matérialité complexe et confuse, dans sa marche désordonnée, offre souvent l'aspect d'un chaos. Peu à peu, les beaux plans des plus habiles constructeurs s'écroulent et font croire à d'irréparables ruines, à l'impossible constitution d'un monde nouveau, en équilibre sur des bases fermes et stables. Pourquoi ?

Il y a en ce monde une pierre en granit, placée par le Christ; c'est sur cette pierre qu'il faut se mettre et diriger ses regards vers le haut; c'est de là que part la restauration de toutes les choses dans le Christ. Or, le Christ Lui-même en a révélé le secret: «Quaerite primum regnum Dei et justitiam ejus, et haec omnia adjiciuntur vobis» — Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît (Matth. VI, 33).

On ne peut donc élaborer la constitution saine et vitale d'aucune société ou nation si les deux grands pouvoirs, le législateur, dans ses délibérations et décisions, et le peuple, dans l'expression de sa libre opinion comme dans l'exercice de ses attributions électorales, ne s'appuient pas fermement l'un et l'autre sur cette base pour regarder vers le haut et attirer sur leur pays et sur le monde le règne de Dieu. En va-t-il ainsi ? Malheureusement on en est bien loin!

Dans les assemblées qui délibèrent comme au sein de la foule, combien de personnes, non dotées d'un équilibre moral constant, courent et mènent les autres à l'aventure, dans les ténèbres, par des voies qui aboutissent à la ruine! D'autres, se sentant désorientées et égarées, cherchent anxieusement, ou du moins désirent vaguement la lumière, un peu de lumière, sans savoir où elle est, sans adhérer à l'unique «vraie Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde» (Jean I, 9.). Elles la frôlent à chaque pas, sans jamais la reconnaître.

Même en supposant la compétence des membres de ces assemblées dans les questions d'ordre temporel, politique, économique, administratif, il faut reconnaître qu'un grand nombre d'entre eux sont incomparablement moins versés dans les matières qui regardent l'ordre religieux, la doctrine et la morale chrétiennes, la nature, les droits et la mission de l'Eglise; au moment de terminer l'édifice, ils s'aperçoivent que rien n'est d'aplomb parce que la clé de voûte manque ou qu'elle n'est pas à sa place.

De son côté, la foule innombrable, anonyme, est prompte à se laisser agiter de façon désordonnée. Elle s'abandonne d'une manière aveugle, passive, au torrent qui l'entraîne ou au caprice des courants qui la divisent et l'égarent. Une fois devenue le jouet des passions ou des intérêts de ses agitateurs tout autant que de ses propres illusions, elle ne sait plus prendre pied sur le rocher et s'y établir pour former un véritable peuple, c'est-à-dire un corps vivant, aux membres et aux organes différenciés suivant leurs formes et leurs fonctions respectives, mais concourant tous ensemble à leur activité autonome dans l'ordre et dans l'unité.

Déjà, dans une autre occasion, Nous avons parlé des conditions nécessaires pour qu'un peuple soit mûr pour une saine démocratie. Mais qui peut le conduire et l'élever jusqu'à cette maturité ? Sans aucun doute, l'Eglise pourrait tirer à ce sujet beaucoup d'enseignements du trésor de ses expériences et de sa propre action civilisatrice. Mais votre présence ici Nous suggère une observation particulière. Au témoignage de l'histoire, là où prospère une vraie démocratie, la vie du peuple est comme imprégnée de saines traditions qu'il est illicite de détruire. Les représentants de ces traditions sont avant tout les classes dirigeantes, c'est-à-dire les groupes d'hommes et de femmes, ou les associations qui donnent, comme on dit, le ton dans le village et la ville, dans la région et le pays tout entier.

D'où, chez tous les peuples civilisés, l'existence et l'influence d'institutions éminemment aristocratiques au sens le plus haut du mot, comme le sont certaines académies de réputation vaste et bien méritée. La noblesse, elle aussi, est de ce nombre; sans prétendre à un quelconque privilège ou monopole, elle est ou devrait être une de ces institutions; une institution traditionnelle, fondée sur la continuité d'une antique éducation. Assurément, dans une société démocratique, ainsi que veut l'être la société moderne, le simple titre de la naissance n'est plus suffisant pour acquérir autorité et crédit. Pour conserver donc dignement votre condition élevée et votre rang social, bien plus, pour l'accroître et l'élever, vous devez être véritablement une élite, vous devez remplir les conditions et répondre aux exigences indispensables en l'époque où nous vivons.

Une élite ? Vous pouvez bien l'être. Vous avez derrière vous un passé de traditions séculaires qui représentent des valeurs fondamentales pour la vie saine d'un peuple. Parmi ces traditions dont vous êtes fiers à juste titre, vous comptez, en premier lieu, l'esprit religieux, la foi catholique vive et agissante. L'histoire n'a-t-elle donc pas déjà prouvé, et cruellement, que toute société humaine sans base religieuse court fatalement à sa dissolution ou finit dans la terreur ? Emules de vos aïeux, vous devez donc resplendir devant le peuple de la lumière de votre vie spirituelle, de la splendeur de votre indéfectible fidélité au Christ et à l'Eglise.

Parmi ces traditions, comptez également l'honneur sans tâche d'une vie conjugale et familiale profondément chrétienne. De tous les pays, de ceux au moins de la civilisation occidentale, monte le cri d'angoisse du mariage et de la famille, si déchirant qu'il est impossible de ne pas l'entendre. Ici aussi, par toute votre conduite, mettez-vous à la tête du mouvement de réforme et de restauration du foyer.

Parmi ces mêmes traditions, comptez, en outre, celle d'être pour le peuple, dans toutes les fonctions de la vie publique auxquelles vous pourriez être appelés, des exemples vivants d'inflexible observance du devoir, des hommes impartiaux et désintéressés qui, dégagés de tout désir désordonné d'ambition ou de lucre, n'acceptent un poste que pour servir la bonne cause, des hommes courageux, intimidés ni par la perte de faveurs d'en haut, ni par les menaces d'en bas.

Parmi ces traditions, mettez enfin celle d'une calme et constante fidélité à tout ce que l'expérience et l'histoire ont confirmé et consacré, celle d'un esprit inaccessible à l'agitation inquiète et à l'aveugle convoitise des nouveautés qui caractérisent notre temps, mais en même temps largement ouvert à toutes les nécessités sociales. Fermement convaincus que seule la doctrine de l'Eglise peut porter efficacement remède aux maux présents, ayez à coeur de lui ouvrir la voie, sans réserves ni méfiances égoïstes, par la parole et par l'action, particulièrement en constituant dans l'administration de vos biens de véritables modèles d'entreprises, aussi bien du point de vue économique que social. Un vrai gentilhomme ne prête jamais son concours à des opérations qui ne peuvent se maintenir et prospérer qu'au préjudice du bien commun, au détriment et par la ruine de personnes de condition modeste. Au contraire, il mettra sa fierté à être du côté des petits, des faibles, du peuple, de ceux qui, exerçant un métier honnête, gagnent leur pain à la sueur de leur front. Ainsi, vous serez réellement une élite; ainsi, vous accomplirez votre devoir religieux et chrétien; ainsi, vous servirez noblement Dieu et votre pays.

Puissiez-vous, chers fils et filles, par vos grandes traditions, par le souci de votre progrès et de votre perfection personnelle, humaine et chrétienne, par vos services empreints d'amour, par la charité et la simplicité de vos relations avec toutes les classes sociales, aider le peuple à se maintenir ferme sur le roc fondamental, à chercher le règne de Dieu et sa justice. C'est le voeu que Nous formons pour vous; c'est la prière que Nous faisons monter, par l'intercession du Coeur Immaculé de Marie, vers le Coeur Divin du Christ-Roi, jusqu'au trône du Souverain Seigneur des peuples et des nations. Que Sa grâce descende en abondance sur vous, en gage de laquelle, Nous vous accordons de tout coeur à vous tous, à vos familles, à toutes les personnes qui vous sont chères, Notre paternelle Bénédiction Apostolique (1).

(7) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 16-1-1946, p. 337-342.

 

Allocution du 8 janvier 1947

L'hommage de votre dévotion et de votre fidélité, ainsi que les voeux que, chaque année, chers fils et filles, suivant une antique coutume, vous venez Nous offrir et qu'a heureusement exprimés votre très excellent interprète, touchent toujours agréablement Notre coeur. Ils reflètent naturellement les pensées et les anxiétés qui, à différents degrés, agitent les âmes, en présence des conditions changeantes des temps. Après les horreurs de la guerre, après les indicibles misères qui ont suivi, après les angoisses qui découlent d'une suspension des hostilités qui ne pouvait s'appeler et n'était pas la paix, Nous Nous sommes entretenus plus d'une fois, en pareille occurrence, de la mission et des devoirs de la noblesse dans la préparation du nouvel état des choses dans le monde, et particulièrement au sein de votre patrie si aimée. La note caractéristique était alors l'incertitude complète. On cheminait en pleine obscurité: les délibérations, les manifestations de la volonté populaire se formaient et se transformaient sans cesse. Qu'allait-il en sortir ? Personne n'aurait pu le pronostiquer avec quelque précision.

En attendant, sur la scène du monde, l'année qui vient de finir offre à Notre regard un spectacle dont, certes, on ne pourrait dire qu'il manquait d'activités, d'émotions, de surprises. Ce qui, par contre, a fait défaut comme dans les années précédentes, a été l'obtention de solutions qui laissent les âmes respirer tranquillement, qui éclairent définitivement les conditions de la vie publique, qui indiquent le droit chemin vers le futur, même s'il devait être ardu et âpre. De sorte que malgré quelques progrès notables que Nous souhaitons durables, l'incertitude continue d'être encore le caractère dominant du moment présent, non seulement dans les relations internationales, dont on attend anxieusement des traités de paix qui soient tout au moins tolérables, mais encore dans l'ordonnance interne de chaque Etat. Là aussi, il n'a pas été donné jusqu'à présent de prévoir avec quelque certitude quel sera le résultat final de la rencontre ou du choc des diverses tendances et forces, et surtout des doctrines différentes et discordantes dans le domaine religieux, social et politique.

Il est, au contraire, moins malaisé aujourd'hui de déterminer, parmi les différents modes d'action qui s'offrent à vous quelle doit être votre conduite.

Le premier de ces modes est inadmissible; c'est celui du déserteur, de celui qui fut injustement appelé l'«émigré à l'intérieur»; c'est l'absentéisme de l'homme dégoûté ou irrité qui, par dépit ou découragement, ne fait pas usage de ses qualités et de ses énergies, ne participe à aucune des activités de son pays et de son temps, mais se retire — comme le Grec Achille, sous sa tente, près des navires à traversée rapide, loin des batailles — tandis que sont en jeu les destinées de la patrie.

Moins digne encore est l'abstention, quand elle provient d'une indifférence indolente et passive. Pire en effet que la mauvaise humeur, le dépit et le découragement serait l'insouciance face à la ruine dans laquelle seraient près de tomber ses propres frères et son propre peuple. Cette indifférence tenterait en vain de se cacher sous le masque de la neutralité. Elle n'est aucunement neutre; elle est, qu'on le veuille ou non, complice. Chacun des légers flocons de neige qui reposent doucement sur le flanc de la montagne et l'ornent de leur blancheur, contribue, en se laissant entraîner passivement, à faire de la petite masse de neige détachée des cimes l'avalanche qui porte le désastre dans la vallée où elle s'abat en ensevelissant les paisibles demeures. Seule, la neige glacée qui fait corps avec le roc oppose à l'avalanche une résistance victorieuse qui peut en arrêter, ou du moins en freiner, la course dévastatrice.

Il en est de même pour l'homme juste et ferme dans sa volonté de bien dont parle Horace en une ode célèbre (Carm. III, 3), qui ne se laisse pas ébranler dans son immuable façon de penser, ni par la colère des citoyens qui donnent des ordres criminels, ni par la fureur menaçante du tyran, mais qui reste au contraire impavide, même si l'univers vient à s'écrouler sur lui: «si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruinae» — même si le monde tombait en ruine, ses décombres blesseraient l'homme de valeur sans l'ébranler. Mais si cet homme juste et fort est un chrétien, il ne se contentera pas de rester debout, impassible au milieu des ruines: il se sentira dans l'obligation de résister et d'arrêter le cataclysme, ou tout au moins d'en limiter les dégâts; et s'il ne peut en arrêter l'avalanche destructrice, il sera là pour reconstruire l'édifice abattu, pour ensemencer le champ dévasté. Telle doit être votre conduite. Elle consiste — sans devoir pour cela renoncer à la liberté de vos convictions et de vos opinions sur les vicissitudes humaines — à prendre l'ordre contingent des choses tel qu'il est, et à diriger son activité vers le bien, non d'une classe en particulier, mais de la communauté entière.

Or, ce bien commun, c'est-à-dire l'établissement de conditions publiques normales et stables telles que, par l'exercice judicieux de leurs forces, il ne soit pas difficile pour les individus aussi bien que pour les familles de mener une vie selon la loi de Dieu, digne, régulière, heureuse, ce bien commun est la fin et la règle de I 'Etat et de ses organes.

Les hommes, les individus comme la société, et leur bien commun, sont toujours liés à l'ordre absolu des valeurs établies par Dieu. Or, précisément, pour réaliser et rendre efficace cette liaison, d'une manière digne de la nature humaine, la liberté personnelle a été donnée à l'homme, et la protection de cette liberté est le but de toute ordonnance juridique qui mérite ce nom. Mais il découle de là que ne peuvent exister à la fois la liberté et le droit de violer cet ordre absolu des valeurs. Car l'on viendrait à léser ce dernier et à disloquer la défense de la moralité publique qui est assurément un élément primordial du maintien du bien commun par l'Etat si, pour citer un exemple, on accordait, sans égard pour cet ordre suprême, une liberté inconditionnée à la presse et au cinéma. En ce cas, on ne reconnaîtrait pas le droit à la vraie et pure liberté, mais on légaliserait la licence, en permettant à la presse et au cinéma de saper les fondements religieux et moraux de la vie du peuple. Pour comprendre et admettre ce principe, il n'est pas même besoin d'être chrétien. Il suffit de l'usage, non troublé par les passions, de la raison et du sens moral et juridique.

Il est fort possible que quelques graves événements, survenus au cours de l'année qui vient de finir, aient eu dans le coeur d'un grand nombre d'entre vous un douloureux écho. Mais quiconque vit de la richesse de la pensée chrétienne ne se laisse pas abattre ni déconcerter par les événements humains, quels qu'ils soient; il tourne courageusement son regard vers tout ce qui est resté et qui est encore si grand et si digne de ses soins. Ce qui est resté, c'est la patrie et le peuple; c'est l'Etat, dont la fin suprême est le véritable bien de tous et dont la mission requiert la coopération commune dans laquelle chaque citoyen à sa place; ce sont les millions d'esprits intègres qui se plaisent à voir ce bien commun à la lumière de Dieu et à le favoriser en conformité des prescriptions jamais vieillies de Sa loi.

L'Italie est sur le point de se donner une nouvelle constitution. Qui pourrait méconnaître l'importance capitale d'une telle entreprise ? Ce que le principe vital est au corps vivant, la Constitution l'est à l'organisme social, dont le développement, non seulement économique mais encore moral, est étroitement conditionné par elle. Si donc il y a des hommes qui doivent tenir le regard fixé sur les règles établies par Dieu, si certains ont jamais été obligés d'avoir constamment sous les yeux le vrai bien de tous, ce sont certainement ceux auxquels est confiée la grande oeuvre de rédiger une constitution.

A quoi servent, d'autre part, les meilleures lois si elles doivent rester lettre morte ? Leur efficacité dépend en grande partie de ceux qui doivent les appliquer. Entre les mains des hommes qui n'en ont pas l'esprit, qui sont peut-être intérieurement en désaccord avec ce qu'elle dispose, ou qui ne sont pas capables spirituellement et moralement de la mettre en oeuvre, l'ouvrage législatif même le plus parfait perd beaucoup de sa valeur. Une bonne Constitution est sans nul doute d'un haut prix. Cependant, ce dont l'Etat a un besoin absolu, c'est d'hommes compétents et experts en matière politique et administrative, entièrement dévoués au plus grand bien de la nation et guidés par de clairs et sains principes.

C'est pourquoi la voix de votre patrie ébranlée par les graves bouleversements des dernières années appelle tous les honnêtes gens à collaborer, hommes et femmes qui renferment dans leurs familles et dans leurs personnes le meilleur de la vigueur spirituelle, des catégories morales et des traditions vécues et toujours vivantes du pays. Cette voix les conjure de se mettre à la disposition de l'Etat, avec toute la force de leurs intimes convictions, et de travailler pour le bien du peuple!

Et voilà que s'ouvre ainsi pour vous le chemin de l'avenir.

L'année dernière, en pareille circonstance, Nous avons montré comment, même dans les démocraties de fraîche date et qui n'ont derrière elles aucun vestige de passé féodal, s'est formée, par la force même des choses, une sorte de nouvelle noblesse ou aristocratie. C'est la communauté des familles qui mettent par tradition toutes leurs énergies au service de l'Etat, de son gouvernement, de son administration, et sur la fidélité desquelles celui-ci peut compter à tout moment.

Votre rôle donc est bien loin d'être négatif; il suppose en vous beaucoup d'étude, beaucoup de travail, beaucoup d'abnégation et surtout beaucoup d'amour. Malgré la rapide évolution des temps, il n'a pas perdu sa valeur, il n'est pas arrivé à son terme. Ce qu'il requiert par ailleurs de vous, et qui doit être la caractéristique de votre éducation traditionnelle et familiale, c'est le sentiment délicat et la volonté de ne vous prévaloir de votre condition — privilège aujourd'hui bien souvent grave et austère — que pour servir.

Allez donc avec courage et avec humble fierté au-devant de l'avenir, chers fils et filles. Votre fonction sociale, nouvelle dans sa forme, est en substance la même qu'aux temps passés de votre plus grande splendeur. Si parfois elle vous semble difficile, ardue, peut-être même non dépourvue de quelques désillusions, n'oubliez pas que la divine Providence, qui vous l'a confiée, vous prodiguera en même temps les forces et les secours nécessaires pour vous en acquitter dignement. Ces secours, Nous les demandons pour vous au Dieu fait homme pour relever la société humaine de sa déchéance, pour établir la nouvelle société sur une base indestructible, pour être Lui-même la pierre angulaire de l'édifice, pour le restaurer de nouveau, de génération en génération. En attendant, comme gage des meilleures faveurs célestes, Nous vous donnons avec une paternelle affection, à vous, à vos familles, à toutes les personnes que vous portez dans votre coeur, qu'elles soient près ou loin de vous, et tout particulièrement à votre chère jeunesse, Notre Bénédiction Apostolique (8).

(8) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 8-1-1947, p. 367-371.

 

Allocution du 14 janvier 1948

Cher fils et filles! Quoique les difficiles circonstances présentes Nous aient suggéré de donner cette année à votre traditionnelle audience une forme extérieure inaccoutumée, ni l'accueil que Nous faisons à vos hommages et à vos voeux, ni l'expression de Nos souhaits pour vos familles n'ont perdu de leur intime valeur ni de leur signification profonde.

Comme le coeur du Père commun n'a pas besoin de beaucoup de paroles pour se répandre dans le coeur de fils qui lui sont si proches, de même votre seule présence est déjà par elle-même le plus éloquent témoignage et la plus claire confirmation de vos sentiments inchangés de fidélité et de dévouement à ce Siège apostolique et au Vicaire du Christ.

La gravité de l'heure ne peut troubler et ébranler que les tièdes et les hésitants. Pour les esprits ardents, généreux, habitués à vivre dans le Christ et avec le Christ, elle est, au contraire, un puissant stimulant à la dominer et à la vaincre. Et vous voulez sans doute être au nombre de ces derniers.

C'est pourquoi nous attendons d'abord de vous une force d'âme que les plus dures épreuves ne pourront abattre; une force d'âme qui fasse de vous non seulement de parfaits soldats du Christ mais aussi, pour ainsi dire, les éducateurs et les soutiens de ceux qui seraient tentés de douter ou de céder.

Ce que nous attendons de vous, ensuite, c'est une promptitude dans l'action que la perspective d'un sacrifice quelconque exigé aujourd'hui par le bien commun n'épouvante ni ne décourage; une promptitude et une ferveur qui, vous rendant allègres dans l'accomplissement de tous vos devoirs de catholiques et de citoyens, vous empêchent de tomber dans un «abstentionnisme» apathique et inerte qui serait gravement coupable à une époque où sont en jeu les intérêts les plus vitaux de la religion et de la patrie.

Ce que nous attendons de vous, enfin, c'est une généreuse adhésion — non du bout des lèvres ou de pure forme, mais jaillie du fond du coeur et transformée sans réserve en acte — au précepte fondamental de la doctrine et de la vie chrétienne, précepte de fraternité et de justice sociale, dont l'observance ne pourra manquer de vous assurer la véritable félicité spirituelle et temporelle.

Puissent cette force d'âme, cette ferveur, cet esprit fraternel guider chacun de vos pas, et conforter votre marche au cours de cette nouvelle année qui s'annonce si incertaine et qui semble vous conduire à travers un tunnel obscur.

Alors, sans doute, ce sera pour vous non seulement une année de dures épreuves mais aussi de lumière intérieure, de joie spirituelle et de bienfaisantes victoires.

Dans cette espérance, et avec une confiance inaltérable dans le Seigneur et dans la Vierge protectrice de cette Éternelle Cité, Nous vous accordons de tout coeur Notre paternelle Bénédiction Apostolique (9).

(9) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 14-1-1948, p. 423-424.

 

Allocution du 15 janvier 1949

Les fêtes de Noël et du renouvellement de l'année sont, pour les familles chrétiennes, une occasion, qu'elles accueillent toujours avec joie, de resserrer encore plus les liens d'affection et de manifester leur amour réciproque, en y joignant des voeux et une mutuelle assurance de prières. Cette joie, Nous l'éprouvons en ce jour où, conformément à une ancienne tradition, vous êtes venus, chers fils et chères filles, pour Nous offrir votre pieux hommage, si heureusement formulé par votre illustre et jeune interprète.

Mais les membres d'une famille digne de ce nom ne se contentent pas de répéter de vieilles formules de voeux. Chaque année, le père renouvelle ses habituelles recommandations, les illustrant et les complétant avec les avertissements que suggèrent les exigences particulières du moment. De leur côté, les enfants examineront leur conduite pour pouvoir le cas échéant affirmer loyalement leur docilité aux conseils paternels.

Ainsi faisons-Nous aussi Nous-même. Chaque année, Nous vous rappelons, dans la variété de leurs multiples aspects, les devoirs fondamentaux et immuables que vous impose la situation que vous occupez dans la société. L'an dernier, Nous vous les avons tracés aussi brièvement que l'exigeaient les circonstances. Nous ne doutons pas que vous vous soyez demandé, en interrogeant votre conscience, avec quelle fidélité et de quelle manière pratique, concrète et effective, vous avez donné, au cours de l'année passée, des preuves de force d'âme, de promptitude à l'action, de généreuse adhésion aux préceptes de la doctrine et de la vie chrétiennes selon votre propre état.

Sans aucun doute, ce triple devoir lie tout le monde et en tout temps, mais il diffère et se différencie selon les événements toujours sujets à changement et selon les conditions spéciales de ceux qu'il assujettit.

La divine Providence a assigné à chacun, dans la société humaine, une tâche particulière et elle a pour cela divisé et distribué Ses dons. Or, ces dons ou ces talents doivent donner leurs fruits et vous savez que le Seigneur fera rendre compte à chacun de l'usage qu'il en aura fait. Selon le rendement obtenu, Il jugera et discernera les bons et les mauvais serviteurs (Matth. XXV, 14 ss.; Luc XVI, 2). La rigueur des temps pourrait vous mettre aussi dans la nécessité de travailler, comme tant d'autres, pour gagner votre vie; mais alors, même dans ce cas, vous auriez, en vertu de votre naissance, des talents et des devoirs particuliers envers vos compatriotes.

Il est bien vrai que, dans la nouvelle Constitution italienne, «les titres nobiliaires ne sont pas reconnus» (sauf naturellement, conformément à l'art. 42 du Concordat en ce qui concerne le Saint-Siège, les titres nobiliaires déjà accordés ou à conférer dans l'avenir par les Souverains Pontifes); mais la Constitution n'a pu effacer le passé ni l'histoire de vos familles. Toutefois, maintenant encore, le peuple —qu'il vous soit favorable ou opposé, qu'il vous entoure de respectueuse confiance ou d'hostilité — regarde et observe quel exemple vous donnez dans votre vie. Il vous appartient donc de répondre à cette attente et de montrer de quelle manière votre conduite et vos actes sont conformes à la vérité et à la vertu, spécialement sur les points que Nous avons rappelés dans Nos recommandations.

«Force d'âme»: tout le monde en a besoin, spécialement de nos jours, pour supporter courageusement les souffrances, surmonter victorieusement les difficultés de la vie et remplir avec constance son propre devoir. Qui n'a pas à souffrir ? Qui n'a pas à peiner ? Qui n'a pas à lutter ? Celui-là seul qui se rend et fuit. Mais vous avez, moins que les autres, le droit de vous rendre et de fuir. Aujourd'hui, les souffrances, les difficultés et les nécessités sont habituellement communes à toutes les classes, à toutes les conditions, à toutes les familles, à toutes les personnes. Et si certains en sont exempts, nagent dans l'abondance et les jouissances, cela devrait les pousser à prendre sur eux les privations et les difficultés d'autrui. Qui pourrait trouver contentement et repos, qui ne se sentirait, au contraire, gêné de vivre dans l'oisiveté et la frivolité, le luxe et le plaisir, au milieu de tribulations quasi générales ?

«Promptitude dans l'action»: dans la grande solidarité personnelle et sociale, chacun doit être prêt à travailler, à se sacrifier et se consacrer au bien de tous. La différence ne réside pas dans le fait de l'obligation, mais dans la façon de la satisfaire. N'est-il pas vrai alors que ceux qui disposent le plus de temps et de moyens doivent être les plus assidus et les plus empressés à servir ? En parlant de moyens, Nous n'entendons pas seulement ni principalement les richesses, mais aussi tous les dons de l'intelligence, culture, éducation, connaissance, autorité, dons qui ne sont pas accordés à certains privilégiés du sort pour leur avantage exclusif ou pour créer une irrémédiable inégalité entre frères, mais pour le bien de toute la communauté sociale. Pour tout ce qui a trait au service du prochain, de la société, de l'Eglise, de Dieu, vous devez toujours être les premiers. En cela consiste votre véritable point d'honneur, en cela se trouve votre plus noble préséance.

«Généreuse adhésion aux préceptes de la doctrine et de la vie chrétienne»: ceux-ci sont les mêmes pour tous, car il n'y a pas deux vérités ni deux lois; riches et pauvres, grands et petits, éminents ou humbles sont également tenus à soumettre leur intelligence au même dogme par la foi, et leur volonté à la même morale par l'obéissance. Car le juste jugement de Dieu sera beaucoup plus sévère envers ceux qui ont reçu davantage, qui sont mieux en mesure de connaître l'unique doctrine et de la mettre en pratique dans la vie quotidienne; envers ceux dont l'exemple et l'autorité peuvent plus facilement diriger les autres sur la voie de la justice et du salut, ou les perdre sur les funestes sentiers de l'incrédulité et du péché.

Chers fils et chères filles, l'année écoulée a montré à quel point ces trois forces intérieures sont nécessaires et elle a mis en relief les remarquables résultats qui peuvent être obtenus par leur bon usage. Ce qui importe surtout, c'est que l'activité ne rencontre aucun arrêt, aucun relâchement, mais qu'elle se développe et se ravive avec constance et fermeté. C'est pourquoi avons-Nous relevé, avec une particulière complaisance dans les paroles de votre interprète, combien est profonde votre compréhension des maux sociaux de notre époque, et combien est solide votre propos de contribuer à leur apporter un remède conforme à la justice et à la charité.

Affermissez en vos âmes la résolution de répondre pleinement à l'attente confiante du Christ, de l'Eglise et de la société, afin qu'au jour de la grande récompense vous puissiez entendre la parole bienheureuse du Juge suprême: «Serviteur bon et fidèle (...) entre dans la joie de ton Seigneur» (Matth. 25, 21).

Tel est le voeu qu'à l'aurore de cette nouvelle année, nous offrons pour vous à l'Enfant-Jésus, en vous accordant de tout coeur, à vous, à vos familles, à tous ceux qui vous sont chers, Notre paternelle Bénédiction Apostolique (10).

(10) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 15-1-1949, p. 345-348.

 

Allocution du 12 janvier 1950

Si conformément à l'exemple de Nos Prédécesseurs, Nous avons l'habitude de vous accueillir, chers fils et filles, au début de la nouvelle année pour recevoir vos voeux et Vous offrir les Nôtres, Notre esprit n'obéit point, à des considérations ou préférences mondaines, mais à des motifs d'honneur et de fidélité. Nous saluons en vous les descendants et les représentants des familles qui se sont distinguées autrefois dans le service du Saint Siège et du Vicaire du Christ, et qui sont restées fidèles au Pontificat romain, même quand celui-ci se trouvait exposé aux outrages et aux persécutions. Sans doute, au fil du temps, l'ordre social a pu évoluer et son centre se déplacer; les charges publiques, qui étaient réservées auparavant à votre classe, peuvent maintenant être attribuées et exercées sur une base d'égalité; à cette attestation de réputation reconnue — qui doit également servir d'élan pour l'avenir — l'homme moderne lui-aussi ne peut pourtant, s'il veut faire preuve de sentiments droits et équitables, refuser sa compréhension et son respect.

Vous vous trouvez aujourd'hui réunis autour de Nous, à l'aurore de l'année qui marque la séparation entre les deux moitiés du XXe siècle, année jubilaire, inaugurée par l'ouverture de la Porte sainte. Considérée en elle-même, la cérémonie religieuse des trois coups de marteau frappés au centre de la Porte a une valeur symbolique: c'est le symbole de l'ouverture du grand pardon. Comment donc expliquer la vive impression qu'elle a suscitée non seulement sur les pieux fils de l'Eglise, qui sont en mesure d'en pénétrer la signification profonde, mais aussi chez de nombreux autres qui lui sont étrangers et que l'on croirait sensibles seulement à ce qui se touche, se mesure et se traduit en chiffres ? Ne doit-on point y voir comme le pressentiment et l'attente d'un nouveau demi-siècle moins chargé d'amertume et de désillusions ? Le symptôme d'un besoin de purification et de réparation, une soif de réconciliation et de paix entre les hommes que la guerre et les luttes sociales ont tellement désunis ? Comment pourrions-nous donc ne pas voir, avec humble confiance chrétienne, le doigt de Dieu dans un début aussi salutaire du grand jubilé ?

La puissance de la bénédiction que l'Année sainte est appelée à répandre sur l'humanité dépendra en grande partie de la plus large coopération que les catholiques apporteront, surtout par la prière et l'expiation. Sur ce plan, les fidèles de Rome ont certainement des responsabilités et des devoirs spéciaux: leur manière de se comporter, les moeurs de leur vie seront cette année plus particulièrement exposées aux grands regards de l'Eglise universelle, représentée par la multitude des pèlerins qui, de toutes les parties du monde, afflueront vers la Cité. Les occasions ne vous manqueront pas, chers fils et filles, de précéder les autres et de les entraîner à votre suite par le bon exemple: exemple de ferveur dans la prière, de simplicité chrétienne dans le train de vie, de renoncement aux agréments et aux plaisirs, de véritable esprit de pénitence, d'hospitalité cordiale, de zèle dans les bonnes oeuvres, en faveur des humbles, des affligés et des pauvres, enfin de fermeté intrépide dans la défense de la cause de Dieu.

En outre, le milieu auquel vous appartenez vous met plus facilement et plus fréquemment en contact avec les personnes importantes d'autres pays. Ayez à coeur, en ces circonstances, de vous employer au rapprochement et à la paix entre les hommes et entre les nations. Puisse la face de la terre, à la fin de l'Année sainte, resplendir plus sereine dans la tranquillité et dans une concorde fraternelle!

Avec ce souhait, Nous vous donnons de tout coeur, à vous et à vos familles, particulièrement à ceux qui sont loin et aux malades, Notre paternelle Bénédiction Apostolique (11).

(11) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 12-1-1950, p. 357-358.

 

Allocution du 11 janvier 1951

Avec toute l'effusion de Notre coeur Nous adressons Nos paternelles salutations aux membres de la Noblesse et du Patriciat romain qui, fidèles à une antique tradition, se sont réunis autour de Nous pour Nous offrir leurs voeux à l'aurore de la nouvelle année, voeux qui Nous ont été filialement exprimés par leur illustre et éloquent interprète.

L'une après l'autre, chaque année entre dans l'histoire, en transmettant à la suivante un héritage dont elle emporte avec soi la responsabilité. Celle qui vient de se terminer, l'Année sainte 1950, demeurera une des plus grandes dans l'ordre moral et plus spécialement surnaturel. Vos annales de famille en retiendront les dates les plus éclatantes comme autant de phares lumineux qui illumineront la voie qui s'ouvre devant vos fils et petit-fils.

Mais ces annales seront-elles destinées à demeurer comme un livre scellé ? Ou ne rapporteront-elles que des souvenirs d'un passé disparu ? Non, elles devront, au contraire, être le message des générations passées à celles qui viendront.

La célébration de l'Année sainte est terminée pour Rome, non pas à la manière d'un spectacle parvenu à sa fin, mais comme le programme d'une vie grandissante, purifiée, sanctifiée, fécondée par la grâce, qui doit continuer à s'enrichir de l'incessante contribution des pensées et des sentiments, des résolutions et des actes dont vos aïeux vous ont transmis le souvenir, afin que vous-aussi vous en laissiez l'exemple à ceux qui viendront après vous.

Le souffle impétueux des temps nouveaux entraîne dans son tourbillon les traditions du passé. Mais il fait surtout apparaître ce qui est destiné à tomber comme feuille morte, et ce qui, au contraire, tend par la force de sa vie intérieure à se maintenir et à se consolider.

Une noblesse et un patriciat qui, pour ainsi dire, s'ankyloseraient dans la nostalgie des temps révolus, se voueraient à un inévitable déclin.

Aujourd'hui, plus que jamais, vous êtes appelés à être une élite, non seulement par le sang et par le lignage mais encore plus par les sacrifices, par les réalisations créatrices au service de toute la communauté sociale.

A ce devoir, personne ne peut se soustraire impunément. Ce n'est pas seulement un devoir de l'homme et du citoyen; c'est encore un commandement sacré de la foi que vous avez héritée de vos pères et que vous devez, comme eux, laisser intacte et complète à vos descendants.

Bannissez donc de vos rangs tout abattement et toute pusillanimité: tout abattement devant une évolution qui entraîne la disparition de beaucoup de choses édifiées en d'autres époques; toute pusillanimité, à la vue des graves événements qui accompagnent les nouveautés actuelles.

Etre romain signifie être fort pour agir, mais aussi pour supporter.

Etre chrétien signifie aller au-devant des peines et des épreuves, des devoirs et des nécessités du temps, avec un courage, une force et une sérénité d'esprit qui puisent à la source des espérances éternelles l'antidote contre toute angoisse humaine.

La fière parole d'Horace a une grande portée humaine: «Si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruinae» — si le monde tombait en ruine, ses décombres blesseraient l'homme de valeur sans l'ébranler (Odes, III, 3).

Mais combien plus beau, plus confiant, plus exaltant, le cri de victoire qui s'échappe des lèvres chrétiennes et des coeurs débordant de foi: «Non confundar in aeternum» — Je ne serai pas confondu éternellement (Te Deum).

En implorant pour vous, de l'Auteur de tout bien, un courage intrépide et une espérance invincible fondée sur la foi, Nous accordons de tout coeur à vous, chers fils et filles, à vos familles et à tous ceux qui vous sont chers, qui vous entourent ou qui sont loin, malades ou bien portants, à toutes vos saintes aspirations, à vos entreprises, Notre Bénédiction Apostolique (12).

(12) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 11-1-1951, p. 423-424.

 

Allocution du 14 janvier 1952

Fidèles à votre ancienne tradition, vous êtes venus, chers fils et filles, apporter, cette année encore, au Chef visible de l'Eglise, le témoignage de votre attachement et vos voeux de nouvel an. Nous les recevons avec une vive et affectueuse reconnaissance, et Nous vous offrons en échange Nos voeux les plus ardents. Nous les incluons dans Nos prières afin que l'année qui vient de s'ouvrir soit marquée du sceau de la bonté divine et enrichie des plus précieuses faveurs de la Providence. A ces voeux Nous désirons ajouter, comme d'habitude, quelques étrennes spirituelles pratiques que Nous résumons brièvement dans une triple exhortation.

1. En premier lieu, regardez avec intrépidité, avec courage, la réalité présente. Il Nous semble superflu d'insister pour réclamer votre attention sur ce qui a été l'objet de Nos considérations il y a déjà trois ans. Il Nous paraîtrait vain et peu digne de vous la voiler sous de prudents euphémismes, spécialement après que les paroles de votre éloquent interprète Nous aient rendu aussi clairement témoignage de votre adhésion à la doctrine sociale de l'Eglise et aux devoirs qui en découlent. La nouvelle constitution d'Italie ne vous reconnaît déjà plus, comme classe sociale, dans l'Etat et dans le peuple, aucune mission particulière, aucun attribut, aucun privilège. Une page de l'histoire a été tournée; un chapitre a été clos, on y a mis un point qui marque la fin d'un passé social et économique. Un nouveau chapitre a été ouvert qui inaugure des formes bien différentes de vie. On peut en penser ce qu'on veut, mais le fait est là; c'est «la marche fatale» de l'histoire. Quelqu'un ressentira peut-être avec peine une si profonde transformation; mais à quoi sert de s'attarder à savourer longuement l'amertume ? Tous doivent à la fin s'incliner devant la réalité; la différence se trouve seulement dans la «manière». Alors que les médiocres ne savent, dans l'adversité, que faire la moue, les esprits supérieurs savent, selon l'expression classique, mais dans un sens plus élevé, se montrer «beaux joueurs», en gardant imperturbablement leur port noble et serein.

2. Elevez votre regard et fixez-le sur l'idéal chrétien. Tous ces bouleversements, évolutions ou révolutions, le laissent intact, et ne peuvent rien contre ce qui est l'essence même de l'authentique noblesse, celle qui aspire à la perfection chrétienne telle que le Rédempteur l'a énoncée dans le Sermon sur la Montagne. Fidélité inconditionnelle à la doctrine catholique, au Christ et à son Eglise; capacité et volonté d'être aussi, pour les autres, modèles et guides.

Serait-il nécessaire d'énumérer les conséquences pratiques ? Donnez au monde, même au monde des croyants et des catholiques pratiquants, l'exemple d'une vie conjugale irrépréhensible, l'édification d'un foyer vraiment exemplaire; opposez une digue dans vos demeures, dans votre entourage, à toute infiltration des principes de perdition, des condescendances ou tolérances pernicieuses qui pourraient contaminer ou ternir la pureté du mariage et de la famille. Voilà certainement une entreprise insigne et sainte, bien apte à enflammer le zèle de la noblesse romaine et chrétienne de notre temps.

Tout en offrant à vos esprits ces réflexions, Nous pensons tout spécialement aux pays où la catastrophe destructrice a frappé avec une rigueur particulière les familles de votre classe, en les réduisant de la puissance et de la richesse à l'abandon et jusqu'à l'extrême misère; mais en même temps, elle a révélé et mis en lumière la noblesse et la générosité avec laquelle tant des leurs sont demeurés fidèles à Dieu même dans le malheur, et la silencieuse magnanimité et la dignité avec laquelle ils savent porter leur propre sort. Ces vertus ne s'improvisent pas, mais elles fleurissent et mûrissent à l'heure de l'épreuve.

3. Donnez enfin votre collaboration à l'oeuvre commune avec dévouement et promptitude. Le champ est assez vaste où votre activité peut s'exercer utilement: dans l'Eglise et dans l'Etat, dans la vie parlementaire et administrative, dans les lettres, dans les sciences, dans les arts, dans des professions variées. Une seule attitude vous est interdite: elle serait radicalement contraire à l'esprit originel de votre condition: Nous voulons dire l'«abstentionnisme». Plus qu'une «émigration», ce serait une désertion, car, quoi qu'il puisse arriver, et quel qu'en soit le prix, il faut avant tout maintenir, contre tout péril de la plus petite fêlure, l'étroite union de toutes les forces catholiques.

Il se peut bien que, du présent état des choses, l'un ou l'autre point vous déplaise. Mais dans l'intérêt et pour l'amour du bien commun, pour le salut de la civilisation chrétienne, dans cette crise qui, loin de s'atténuer, semble plutôt aller croissante, restez fermes dans la tranchée, sur la première ligne de défense. Vos qualités particulières peuvent trouver là, encore aujourd'hui, leur meilleur emploi. Vos noms qui, depuis un lointain passé, résonnent hautement dans les souvenirs, dans l'histoire de l'Eglise et de la société civile, évoquent les figures des grands hommes et font retentir dans vos âmes l'admonition de la voix qui vous rappelle le devoir de vous en montrer dignes.

Le sentiment inné de la persévérance et de la continuité, l'attachement à la tradition sainement comprise sont les notes caractéristiques de la vraie noblesse. Si vous savez y joindre une ample largeur de vues sur la réalité contemporaine, spécialement sur la justice sociale, une loyale et franche collaboration, vous apporterez à la vie publique un concours de la plus haute valeur.

Telles sont, chers fils et filles, les pensées que Nous avons cru opportun de vous suggérer à l'aurore de cette nouvelle année. Que le Seigneur veuille vous inspirer le propos de les réaliser et qu'Il daigne féconder votre bonne volonté avec l'abondance de ses grâces, en auspice desquelles, Nous vous accordons de grand coeur, à vous, à vos familles, à vos enfants, à vos malades et infirmes, à tous ceux qui vous sont chers, qu'ils soient près ou loin de vous, Notre paternelle Bénédiction Apostolique (13).

(13) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 14-1-1952, p. 457-459.

 

Allocution du 9 janvier 1958

Nous vous accueillons avec une vive satisfaction dans Notre demeure encore pénétrée des saintes effluves des fêtes de Noël, chers fils et filles, venus confirmer votre pieuse fidélité à ce Siège Apostolique. Avec le coeur d'un Père ardemment désireux de s'entourer de l'affection de ses enfants, Nous accédons bien volontiers à votre désir d'entendre encore une fois quelque parole d'exhortation, en réponse aux souhaits qui viennent de Nous être présentés par votre excellent et éloquent interprète.

La présente audience réveille dans Notre esprit le souvenir de la première visite, déjà lointaine, que vous Nous avez rendue en 1940. Combien de douloureux vides, depuis lors, dans vos rangs choisis; mais aussi combien d'aimables nouvelles fleurs écloses dans la même corbeille! Le souvenir ému des uns et l'heureuse présence des autres semblent enfermer dans un ample cadre tout le tableau d'une vie qui, bien que passée, ne manque pas de donner des enseignements salutaires et d'irradier une lumière d'espérance sur votre présent et sur votre avenir. Tandis que ceux dont le «front est couronné de neige et d'argent» — ainsi que Nous Nous exprimions alors — sont passés à la paix des justes, ornés des «nombreux mérites acquis dans le long accomplissement du devoir»; d'autres, avec déjà «la hardiesse conférée par la fleur de la jeunesse ou la splendeur de la virilité» ont occupé ou occupent leur place, poussés par la main irrésistible du temps, guidé lui-même par la sagesse prévoyante du Créateur. Entre-temps ont pénétré dans la lice, pour le «progrès et la défense de toute bonne cause», ceux qui étaient alors au nombre des petits; Nous Nous penchions alors avec prédilection vers ce qu'ils représentaient «d'innocence sereine et souriante» et Nous aimions «l'ingénue candeur, l'éclat vif et pur de leurs regards, reflet angélique de la limpidité de leurs âmes» (cfr. Discorsi e Radiomessaggi, vol. I, 1940, p. 472). Eh bien! à ces petits d'alors, devenus d'ardents jeunes gens ou des hommes mûrs, Nous désirons d'abord adresser quelques mots, comme pour entrouvrir l'intime de Notre coeur.

Vous qui, aux débuts du nouvel an, ne manquiez pas de Nous rendre visite, vous vous rappelez certainement la sollicitude empressée avec laquelle Nous Nous employions à vous tracer la voie vers l'avenir qui déjà alors se présentait bien rude, par suite des profonds bouleversements et transformations menaçant le monde. Nous sommes cependant certain que même lorsque vos fronts seront encadrés de neige et d'argent, vous rendrez témoignage non seulement de Notre estime et de Notre affection, mais encore de la vérité, du bien-fondé et de l'opportunité de Nos recommandations, comme des fruits que, Nous voulons l'espérer, vous en recueillerez vous-mêmes ainsi que la société.

Vous rappellerez en particulier à vos enfants et petits-enfants que le Pape de votre enfance et de votre adolescence n'a pas omis de vous indiquer les nouvelles tâches qu'imposaient à la noblesse les nouvelles conditions des temps; qu'il vous expliqua surtout comment l'assiduité au travail serait le titre le plus solide et le plus digne pour vous assurer la permanence parmi les dirigeants de la société; que les inégalités sociales, tout en vous mettant en évidence, vous prescrivaient des obligations spécifiques au service du bien commun; que des classes les plus élevées pouvaient parvenir au peuple de grands avantages ou de graves dommages; que les changements de formes de vie peuvent, là où l'on veut, s'accorder harmonieusement avec les traditions dont les familles du Patriciat sont dépositaires.

Souvent, Nous référant aux contingences du temps et des événements, Nous vous avons exhortés à participer activement à la guérison des plaies produites par la guerre, à la reconstruction de la paix, à la renaissance de la vie nationale, en évitant «émigration» ou abstention; car, dans la société nouvelle, il restait encore une large place pour vous, si vous vous montriez vraiment élites et optimates, c'est-à-dire insignes par la sérénité de votre force d'âme, votre promptitude à l'action, votre généreuse adhésion. Vous vous rappellerez en outre Nos encouragements à bannir l'abattement et la pusillanimité face à l'évolution des temps et Nos exhortations à vous adapter courageusement aux nouvelles circonstances, le regard fixé sur l'idéal chrétien, véritable et impérissable titre de noblesse authentique. Mais pourquoi, chers fils et filles, vous avons-Nous donné alors, et vous répétons-Nous maintenant ces conseils et recommandations, si ce n'est pour vous prévenir contre d'amères désillusions, pour conserver à vos maisons l'héritage des gloires ancestrales, pour assurer à la société à laquelle vous appartenez, la contribution de prix que vous êtes encore à même de lui offrir ? Mais — Nous demanderez-vous peut-être — que devons-nous faire concrètement pour atteindre une fin si haute ?

Avant tout, vous devez insister sur une conduite religieuse et morale irrépréhensible, spécialement au sein de la famille, et pratiquer une vie sainement austère. Faites que les autres classes s'aperçoivent du patrimoine de vertus et de qualités qui vous sont propres, fruit de longues traditions familiales. Telles sont l'imperturbable force d'âme, la fidélité et le dévouement aux causes les plus dignes, la piété tendre et généreuse envers les faibles et les pauvres, le comportement prudent et délicat dans les affaires difficiles et graves, ce prestige personnel, presque héréditaire dans les familles nobles, qui réussit à persuader sans opprimer, à entraîner sans contraindre, à conquérir sans humilier l'âme d'autrui, même des adversaires et des concurrents. L'emploi de ces dons et l'exercice des vertus religieuses et civiques sont la réponse la plus convaincante aux préjugés et aux méfiances, car ils manifestent l'extrême vitalité de l'esprit, d'où jaillissent toute vigueur extérieure et la fécondité des oeuvres.

Vigueur et fécondité des oeuvres! Voilà deux caractéristiques de l'authentique noblesse, dont les armoiries gravées dans le bronze ou sculptées dans le marbre sont un témoignage permanent, car elles représentent pour ainsi dire la trame visible de l'histoire politique et culturelle de nombreuses et glorieuses cités européennes. Il est vrai que la société moderne n'a pas coutume d'attendre de votre classe la note sûre pour se mettre à l'oeuvre et affronter les événements; cependant, elle ne refuse pas la coopération des hauts talents qu'il y a parmi vous, car une sage partie conserve un juste respect des traditions et prise la valeur du haut décorum quand il est bien fondé; tandis que l'autre partie de la société, qui affiche son indifférence et peut-être son mépris pour les formes vétustes de vie, ne peut se soustraire totalement à la séduction d'une vie sociale brillante. C'est si vrai, qu'elle s'efforce de créer de nouvelles formes d'aristocratie, quelques unes dignes de considération, d'autres basées sur la vanité et la frivolité, qui ne réussissent qu'à s'approprier des éléments décadents des vieilles institutions.

Il est cependant clair que la vigueur et la fécondité des oeuvres ne peuvent pas aujourd'hui se manifester toujours par des formes devenues désuètes. Cela ne signifie pas qu'ait été restreint le champ de votre activité; il a été au contraire élargi à la totalité des professions et des charges. A vous aussi, tout le domaine professionnel est ouvert; dans chacun de ces secteurs, vous pouvez être utiles et vous rendre insignes: dans les fonctions de l'administration publique et du gouvernement, dans les activités scientifiques, culturelles, artistiques, industrielles, commerciales.

Nous aimerions enfin que votre influence dans la société détourne d'elle un grave danger propre aux temps modernes. Il est notoire que la société progresse et s'élève lorsque les vertus d'une classe se répandent parmi les autres; elle tombe au contraire en décadence, si se communiquent de l'une à l'autre les vices et les abus. A cause de la faiblesse de la nature humaine, c'est la diffusion des vices qui se constate le plus souvent, et aujourd'hui avec une rapidité d'autant plus grande que plus faciles sont les moyens de communication, d'information et de contacts personnels, non seulement de nation à nation, mais encore entre les continents.

Il arrive dans le domaine de la morale ce qui se produit dans celui de la santé physique: ni les distances ni les frontières n'empêchent plus désormais qu'un germe d'épidémie ne gagne en peu de temps les régions les plus lointaines. Or les classes élevées, parmi lesquelles se trouve la vôtre, par suite des multiples relations et des fréquents séjours dans des pays où l'état moral est différent et peut-être inférieur, pourraient devenir facilement des vecteurs de dérèglement des moeurs. Nous faisons allusion en particulier à ces abus qui menacent la sainteté du mariage, l'éducation religieuse et morale de la jeunesse, la tempérance chrétienne dans les loisirs, le respect de la pudeur.

La tradition de votre patrie à l'égard de ces valeurs doit être défendue et maintenue sacrée et inviolable; elle doit être protégée contre la menace de germes dissolvants, de quelque côté qu'ils proviennent. Toute tentative pour rompre cette tradition ne marque aucun progrès sauf vers l'égarement; c'est un attentat contre l'honneur et la dignité de la Nation.

Quant à vous, veillez et employez-vous à ce que les pernicieuses théories et les exemples pervers ne reçoivent jamais votre approbation et votre sympathie, et encore moins, ne trouvent en vous des vecteurs favorables et des foyers d'infection. Que ce profond respect des traditions que vous cultivez, et par lequel vous entendez vous distinguer dans la société, vous soutienne afin de conserver au milieu du peuple des trésors si précieux. C'est là peut-être la plus haute fonction sociale de la noblesse aujourd'hui; c'est certainement le plus grand service que vous puissiez rendre à l'Eglise et à la patrie.

Pratiquer ainsi les vertus et employer au profit commun des dons propres à votre classe, exceller dans les professions et dans les activités embrassées avec promptitude, préserver la nation des contaminations extérieures: telles sont les recommandations que Nous avons cru devoir vous présenter en ce début d'année.

Accueillez-les, chers fils et filles, de Nos mains paternelles, et traduisez-les par un acte généreux de volonté en un triple engagement que vous offrirez, à votre tour, comme des dons tout à fait personnels, au divin Enfant, qui les acceptera, au même titre que l'or, l'encens, et la myrrhe, qui Lui ont été offerts jadis par les Mages d'Orient.

Afin que le Tout-Puissant raffermisse vos résolutions et réalise Nos voeux, en exauçant les suppliques que Nous Lui adressons pour cela, que descende sur vous tous, sur vos familles, particulièrement sur vos enfants, continuateurs à l'avenir de vos plus dignes traditions, Notre Bénédiction Apostolique (14).

(14) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, 9-1-1958, p. 707-711.